"Non....arrête... Papa !"

Les coups affluaient constamment sur sa peau déjà meurtrie. Pourquoi était-il devenu si méchant lorsque sa mère était morte ?  Elle lui avait déjà posé la question mais malheureusement, jamais de réponses n'avaient été fournies. Du moins, jamais de réponses logiques. La seule reçue était qu'elle devait travailler et se taire. Elle essayait, elle avait toujours fait de son mieux à ce niveau. Les petits boites d'allumettes qu'elle transportait étaient montrées aux passants, parfois quelqu'un s'arrêtait pour en acheter, parfois pas. Que pouvait-elle y faire ? Etait-ce vraiment sa faute si les gens n'étaient pas intéressés par une boite d'allumette ?  Pourtant son père lui adressait toujours les mêmes reproches avant de la frapper. Avant de lui faire payer le peu de piécettes qu'elle ramenait et lui donnait sans qu'elle puisse ne serait-ce qu'en garder une seule. Mais ce n'était pas grave pour elle, si seulement ça avait pu permettre à son géniteur de ne pas succomber à ses excès de colère et cette agressivité sans retenue qu'il lui infligeait à chaque fois qu'elle mettait un pied dans leur maison. Cela finissait toujours dans sa chambre, souillée par ce sang rougeâtre, à panser seule ses plaies en priant à l'aide envers sa maman qui finalement ne reviendrait jamais. Elle s'en était voulue longtemps de ne pas  pouvoir apporter la satisfaction demandée envers ce parent qui était censé la protéger et l'aimer. Au fond, elle avait toujours été seule et cette solitude était un poids sur son coeur aussi envahissant et douloureux qu'une plaie béante qui jamais ne se referme.



Ses yeux s'ouvrirent alors impulsivement pour constater la chambre sombre dans laquelle elle se trouvait malgré les larmes qui obstruaient quelque peu sa vue. Fouillant précipitamment sous son oreiller, elle dénicha une boite d'allumette dont elle fit rapidement craquer un petit bâtonnet afin de pouvoir récupérer cette luminosité adorée qui venait de faire défaut durant cette nuit avancée. Elle n'était pas les ténèbres qui lui rappelaient sans difficultés la solitude que pouvait traduire ces dernières. Les ombres étaient de compagnie plus agréable et elle sentit un soulagement certain quand celles-ci prirent place sur les murs aux alentours. Les cauchemars étaient courants pour ce petite bout de demoiselle qui n'avait pas encore su se séparer entièrement d'un passé difficile. Généralement, ils se produisaient souvent quand la lumière qui se trouvait à côté de son lit, cette bougie généralement allumée à l'heure de clore ses paupières, s'éteignait malencontreusement. Ce n'était pas systématique. Parfois, elle parvenait à dormir des nuits durant, paisiblement et sans anicroches, mais de temps en temps, ce n'était pas toujours possible. Les ombres dansantes lui rappelèrent cette fameuse nuit où elle avait découvert le pouvoir de cette petite flamme et de ce qu'elle pouvait prodiguer comme réchauffement. Bien sur, la véritable cause était sa capacité à laisser parler son imagination. Mais cette dernière se liait très aisément aux ombres qui prenaient place sur une surface adaptée à les recevoir. Elle se souvenait de tout ce qu'elle avait aperçu et de tout ce bonheur qui l'avait envahi : de la chaleur, une table remplie de denrées alimentaires, un sapin sous lequel siégeait des cadeaux aussi nombreux que le permettait un jour heureux et enfin sa grand-mère, sa douce et gentille grand-mère qui l'avait serrée si fort dans ses bras qu'elle avait espéré ne jamais les quitter. Peut-être l'avait-elle emmenée vers un destin plus heureux car quand elle avait rouvert les yeux, ce fut Dragonne qui se tenait auprès d'elle. Une femme magnifique mais bien différente de sa mère ou sa grand-mère. Rapidement, elle s'était montrée douce, attentive et surtout prévenante. Elle lui avait apporté de quoi se sustenter, de quoi se vêtir chaudement mais aussi de quoi remplir son coeur d'une allégresse disparue en même temps que sa maman biologique. Un changement qui lui avait fait se demander de prime abord si elle n'était pas au paradis. Mais les chenapans qui par la suite avaient débarqués lui avait confirmé simplement qu'elle était toujours bel et bien dans la réalité. Une chance de cet acabit n'était pas donné à tout le monde, elle ne savait même pas pourquoi elle en avait eu le cadeau. Pourtant, après avoir partiellement raconté son histoire, Dragonne l'accepta chez elle, dans sa vie, lui offrant l'opulence, une vie riche comme elle n'en avait encore jamais connue jusqu'à présent. Mais ce n'était rien en réalité comparé simplement aux attentions à son égard alors qu'elle n'était qu'une inconnue dans cette maisonnée déjà bien chargée.   

"Aïe !"

La flamme avait atteint ses doigts sans qu'elle ne s'en aperçoive et elle se dépêcha de craquer une nouvelle allumette qui lui permit de revoir les ombres dont elle se fit une nouvelle histoire. La narration se fit alors, papotant sans cesse dans le silence de la nuit tandis qu'elle se racontait seule des histoires folles permettant à une enfant remplie d'imagination de pouvoir occuper un réveil cauchemardesque par un moment plaisant et rempli d'amusement. Elle finit même par rire de ses propres créations ce qui eut la capacité d'interpeler Dragonne puisque cette dernière fit une apparition dans la chambre.

" Ne serait-il pas plutôt l'heure de dormir ici ?" dit une voix douce dénuée de toute animosité.

Lumia sourit tandis qu'elle alluma à nouveau la bougie de l'allumette qui se consumait rapidement de nouveau entre ses doigts.

"Je suis désolée."

Dragonne s'approcha pour venir la pousser à se recoucher et la recouvrir tandis qu'une même réponse faciale émerveilla le moment. Elle n'avait jamais recherché à revoir son père depuis que cette généreuse femme l'avait accueillie chez elle et lui avait offert l'hospitalisé pour une date totalement illimité. En réalité, elle l'avait quasiment adoptée et elle-même la considérait de plus en plus comme une maman. En plus, avoir une fratrie était quelque chose de vraiment amusant et surtout une responsabilité qu'elle prenait à coeur de par son âge la plaçant en aînée même si elle n'était elle-même qu'une enfant. Elle ne savait pas si ce bonheur durerait car au fond la présence de l'âne n'était pas pour elle réjouissant, les hommes représentant une menace qu'elle avait du mal à dissimuler, cependant, elle avait très envie de rester auprès de Dragonne.

"Est ce que tu veux bien rester avec moi jusqu'à ce que je m'endorme ?"

"Bien sûr" furent les mots suffisants pour que son soulagement soit à son apogée et que le sommeil finalement rapidement revint montrer le bout de son nez.