La pièce était d’une propreté presque effrayante. Le sol était recouvert d’un simple tapis de jonc, les murs étaient nus et quelques petites ouvertures faisant office de fenêtres laissaient entrer les rayons matinaux du soleil sur quelques meubles rustiques. C’était le moment de la journée que Tuoba préférait. Quand le soleil levant dardait de ses flèches de lumières orangées sur la contrée encore ensommeillée et silencieuse. C’était le temps de la médiation. Une habitude qu’il avait prise lorsqu’il était encore tout jeune enfant alors qu’il imitait maladroitement son officier de père. Rituel qu’il renforça durant sa formation aux armes à l’âge de dix ans et qu’il continuait de pratiquer encore aujourd’hui à 36 ans. L’homme commença alors ses mouvements souplement et lentement comme pour savourer chacune des gouttes du temps s’écoulant à travers la lumière qui se reflétait sur son corps à moitié découvert. Son initiation aux armes lui avait inculqué dès l’enfance une rigueur militaire inébranlable que ses gestes laissaient encore transparaître. Les douze années de guerre qui avaient suivit avait marqué ses membres de balafres et de cicatrices et son esprit de tâches sanglantes qu’il s’évertuait à effacer à l’aide de ses habitudes, de ses méditations quotidiennes.

   L’asiatique s’assis près de la paillasse qui lui servait de lit, les jambes croisées en tailleur et la respiration profonde. Le guerrier tentait de vider jusqu’à la dernière pensée de sa tête. Oubliée Saay, la contrée qu’il avait lâchement quitté. Oubliée sa famille tourmentée qu’il avait abandonnée. Oubliée la guerre féroce et ses atrocités. Oublié le sang sur ses lames argentée. Oubliés ses compagnons d’armes tombés. Il n’y avait plus qu’une seule pensée qui persistait encore et toujours. Hou-Chi. Hou-Chi avait été l’homme le plus proche de devenir ce qu’on pouvait qualifier d’ami pour Tuoba. Il avait été un homme fier et dévoué, une recrue prometteuse, un guerrier hors-pairs, un frère d’arme fidèle, et un bras-droit sage.  Le général avait été fier de combattre à ses côtés pendant huit longues années sanglantes. Jusqu’à ce qu’il découvre que Hou-Chi était en réalité une femme. Mulan.

   Il se leva en maudissant les souvenirs qui remontaient à la surface. Il l'a revoyait encore, cette femme qui l’avait trompé, qui pendant huit ans s’était faite passée pour un homme en les dupant tous, qui avait pris le droit de combattre et de revêtir l’uniforme comme sien. Tuoba en avait été profondément blessé, son ami ne l’était plus, et son honneur en avait pris un coup en même temps que sa réputation et son autorité dans le camp. Mais surtout, tout les moment passés avec Hou-Chi lui semblaient à présent factices.. Il n’avait rien vu venir, lui, le général Lintrépide avait simplement regarder son monde s’écrouler autour de lui sans réagir. Bientôt, il commença à devenir méfiant, même envers ses hommes les plus fidèles et Mulan continuait de hanter ses pensées. Il ne pouvait pas nier la force de volonté de la jeune femme, ni son esprit brillant et sa détermination ardente. Plus il pensait à elle et plus il se sentait admiratif. Et au fur et à mesure que les semaines passèrent sur le champ de bataille, Tuoba s’épris petit à petit de Mulan et de sa manière de se mouvoir, féline ; de sa façon de toujours rester fière malgré le regard insistant des hommes autour d’elle. L’homme se rappela d’avoir alors ordonné à ses hommes de la traiter comme ils l’avaient toujours fait, comme si elle était leur égal. Avoir une femme sur un campement jusqu’alors exclusivement masculin avait tourné l’esprit de certains de ses soldats. Il avait fait en sorte que personne ne la touche, et certains commencèrent alors à affirmer qu’il se la réservait pour lui seul. Pourtant, le général ne pouvait toujours pas la regarder en face. Pas maintenant qu’il connaissait son secret. Jusqu’à ce jour là ...

   Lentement, Lintrépide entreprit d’étirer chacun de ses membres. Qui sait ce qui lui prit ce jour là ? Comme une lubie soudaine il lui avait déclaré sa flamme. Ce fut la première fois que le général prit une décision sans l’avoir mûrement réfléchie. Il demanda la main de la guerrière qui occupait ses pensées durant les longues journées de combat et de commandement, sans se préoccuper des retombées. Sans se préoccuper de ses sentiments à elle et sans se remettre en question. Il se sentait fascinée par Mulan, il voulait la posséder, la comprendre, l’aimer. À 31 ans, il se sentait alors prêt à se marier sitôt les batailles terminées. Mais ce n’était pas le cas de la jeune femme.

   Alors que le soleil inondait à présent la paillasse de sa lumière dorée, un éclat de tristesse se mît à luire dans les yeux noirs de Tuoba. Au jour d’aujourd’hui, peu lui importait qu’elle eut répondue oui ou non, pourvu qu’elle lui ai simplement répondu. Mais elle n’avait rien dit, rien fait qui ne puisse l’éclairer sur ses sentiments envers lui. Les quatre dernières années de guerre avait été les plus dures de toutes. Voir Mulan était devenu une torture, si bien qu’il l’évitait autant qu’il le pouvait et l’envoyait bien souvent dans les endroits les plus éloignés de lui, et ce, malgré tout les efforts qu’elle faisait pour se faire accepter de nouveau comme véritable guerrier. Mais il avait été trop fier pour réitérer sa demande et il avait bien trop d’honneur pour tenter de l’annuler. De son côté, la jeune femme l’évitait également. Comme si ils étaient soudainement étrangers l’un à l’autre. Dès lors, Tuoba sut qu’elle ne répondrait pas à l’affirmative - si elle répondait un jour. Mais il ne pensait pas qu’elle partirait, qu’elle s’enfuirait comme une voleuse après la guerre. Ce fut le coup de grâce.

   L’ex-général commença son échauffement méthodiquement, alors que l'astre solaire devenait plus insistant. Son visage redevenu froid et ne laissa plus passer aucune émotion. Pourtant, le pire avait été après le départ de Mulan. Les ravages d’une guerre futile qui avait durée bien trop longtemps avait marqué les hommes et la terre d’atrocités qu’ils ne pourraient pas oublier. Malgré la victoire, la plupart de ses hommes étaient morts si ils n’étaient pas complètement amoindrit physiquement ou bien moralement. Tuoba lui meme s'était sentit comme vidé, exsangue. Lintrépide n’était pas rentré chez lui tout de suite. Il avait tenté d’oublier Mulan et la meurtrissure de son cœur en continuant de servir dans l’armée pour laquelle il était désormais un héros. Les uns après les autres, ses ennemis tombaient, les victoires s’enchainaient. Il avait continué la lutte sans fin qu’était celle des seigneurs assoiffés de terres et de richesses, en commandant des hommes, en mettant en place des stratégies meurtrières et en allant au front. Pour oublier. Jusqu’au jour où il se rendit compte que le chemin qu’il empruntait était vain et ne mènerait qu’à une mort solitaire et sans éclat. Douze années de guerre lui avait enlevé la vigueur de ses vingt-trois ans, la peau lisse qu’il possédait alors et la possibilité de se poser, de se marier, d’avoir des enfants en vivant paisiblement loin des affres de la mort. Et puis il y avait les souvenirs de Mulan Soleilevant qui le hantait encore jour et nuit tandis que les hommes reléguaient son courage à une simple légende.

   Tuoba fit basculer sa tête vers l’arrière puis vers l’avant dans un dernier mouvement destiné à le préparer à la nouvelle journée qui débutait. Derrière les murs épais de la bicoque qu’il avait loué, on devinait que la ville s’éveillait. Fort Fort Lointain, la cité qu’il avait choisit pour recommencer à zéro, dans laquelle il avait décider de revivre et de fréquenter des êtres vivants et non plus des cadavres. Deux mois auparavant, sans même regarder en arrière, il avait laissé le champ de bataille ainsi que ses hommes et était revenu dans la vielle ferme parentale. Ce fut avec tristesse qu’il appris le décès de son père quelques cinq années avant sa venue et que sa mère, sa sœur et son frère survivaient plus ou moins bien avec ce qu’il leur avait laissé de sa fortune d’ancien militaire. Il les avait aidé pendant quelques semaines. Les travaux ne manquaient pas et les récoltes n’attendaient alors que d’être faites. Cependant, loin de l’action des combats, ce train de vie l’ennuya vite et un matin il quitta la maison sans un mot, en laissant derrière lui l’argent qu’il avait reçu de ses treize années de service en temps que général. Accompagné de Neimu, un cheval endurant mais quelque peu capricieux, il commença son voyage vers le nord, ne s’arrêtant que pour se reposer, s'entraîner ou manger. Sa décision était alors déjà prise : il apprendrait à vivre simplement en profitant de ce que la capitale pourrait lui apporter.

   Alors que Tuoba Lintrépide sortait de la petite et très simple maison qu’il s’était trouvé la veille pour un maigre loyer. Il se surprit à sourire au cheval noir et imposant qui broutait tranquillement les herbes folles qui envahissaient la façade. Depuis qu’il était arrivé en ville il y avait de cela deux jours, tout lui avait semblé rapide, il avait tenté de se trouver un poste dans la garde royale, mais sans succès, la capitale étant sens dessus-dessous et sans véritable suzerain depuis qu'un nain avait mis à feu et à sang la capitale ; il avait trouvé de quoi se loger dans un quartier mal famé mais peu cher qu'il avait payé grâce aux quelques shillings qui lui restaient et avait nettoyé entièrement la bicoque ; puis il avait vagabondé un peu en ville avant de décider de proposer ses services en temps que garde du corps en déposant des petites annonces dans les commerces. C'était presque rien, mais il était sûr qu'une nouvelle vie l’attendait à Fort Fort Lointain - même si il ne savait pas si elle serait pire ou bien meilleur que la précédente.
Mais peut-être qu'ici il parviendrait enfin à oublier Mulan ...

Chronologie: