« Ne dis pas de sottises, les sorcières ne naissent pas dans les roses. Elles naissent dans les trèfles. » Louise écarquille ses grands yeux azur, les pommettes rosies par l’embarras. Sa soeur affiche une mine convaincue et semble à priori s’y connaître bien mieux qu’elle en ce qui concerne la nature du monde. Comme sur toute chose qu’elle se vante de savoir. « Tu vois, c’est vert. Comme nous. » Murmure Ambre en balançant sa tête, le regard quelque peu rêveur, alors qu’elle tient dans ses petites mains frêles un trèfle qui s’est libéré de ses racines. La blonde laisse échapper un sourire, préférant aller dans le sens de sa soeur tout en imaginant une petite créature voir le jour depuis les pétales de la plante. Elle souffle un soupir léger. Ambre a toujours été la plus maligne des deux. Louise est plutôt celle qui reste derrière, dans l’ombre, plus réservée. Il n’est pas facile de se trimballer une crinière blonde dans ce monde de sorcières si élitistes qui pratiquent la magie noire et répugnent tout ce qui se rapporte à la magie blanche, encore moins quand sa soeur aînée prend toute la place. Les soeurs Gemeraude n’ont pas de sang noble, pas de fortune, mais elles possèdent néanmoins un héritage grand et un rêve qui les lient. Elles sont les gardiennes de la forêt d’Emeraude. Mais cette terre si vaste renferme trop de secrets depuis la nuit des temps, si bien qu’elles ne sont jamais seules pour veiller. Louise garde l’ouest, Ambre l’est. Quant au nord et au sud, on dit qu’ils restent sous la protection et l’oeil bienveillant de deux sorcières blanches. Elles n’ont jamais traversé les frontières qui les séparent de ces sorcières, cela leur est interdit, et réciproquement. Alors elles se plient aux coutumes, aux usages, comme les bonnes petites sorcières sages qu’elles sont, et restent dans l’ignorance. La caverne faiblement éclairée semble toujours plus sécurisante, telle un refuge qui nous couve et nous abrite du monde que l’on ne connait pas. Une fois la porte franchie, il n’y a pas de retour en arrière. « J’aimerais tant voir plus loin, franchir nos lisières et découvrir ce qu’il y a derrière. Louise, tu crois que nous pourrons y aller un jour ? » La brune lève le regard au dessus des feuilles, fixe l’horizon comme s’il était à portée de main, et pourtant bien trop loin. Sa petite soeur pourrait presque voir une lueur sombre errer et résonner dans ses rétines si claires. Du désir, ou peut-être du regret. « J’en suis sûre. Mère n’aimerait pas bien sûr, mais la vie est si longue. Nous irons ensemble. » Un sourire timide se dessine sur son minois candide en guise d’encouragement, et peut-être pour se convaincre elle-même. Mais Louise ne saurait dire, elle n’est qu’une sorcière, et les sorcières ne sont pas voyantes. Seulement, elle sent son palpitant se réchauffer et battre la mélodie qui hante la forêt, parce qu’elle aime profondément Ambre, et qu’elle ferait n’importe quoi pour rendre sa soeur heureuse.



Louise contemple les rayons du soleil filtrés par le verre des immenses fenêtres de la demeure éclairer les pigments verts de sa peau. Elle caresse délicatement du bout des doigts cette chair qu’elle méprise tant, en se laissant aller un instant, fermant les yeux, n’écoutant que les bulles du bain éclater en milliers de cristaux. C’est tellement agréable, d’être servie et traitée comme une comtesse, même une reine. Pourtant elle ne s’en sent toujours pas digne, alors même qu’elle vit avec son honorable amant depuis des années. Pour eux, cela paraît être des minutes, des jours tout au plus. L’impression d’éternité a une saveur incomparable face aux dégâts du temps. Mais la rouquine n’est pas épanouie, alors même qu’elle a tout pour être heureuse. Elle se ne voit que comme la vilaine sorcière de l’ouest, accoutrée d’une teinte verte comme l’émeraude qui lui collera à jamais la peau. C’est ce que les autres voient, c’est ce que les autres croient. L’enfer, c’est eux. La dame de chambre entre dans la salle de bain et plisse le nez aux odeurs de savon qui l’envahissent, tout en couvrant les épaules de Louise d’une serviette sèche. La sorcière baisse les yeux, toujours aussi gênée par son apparence, mais se réconfortant de la chaleur qui la couvre. Une fois la robe et les bijoux passés, la domestique peigne Louise dans un silence pesant. Un silence qui ne dure pas. Un petit frappement survient de la porte, avant que celle-ci ne s’ouvre après que Louise l’ait autorisé. « Mon tendre, je l’ai senti bouger. » La fiancée offre un sourire radieux à Gilgalad, reconnaissante de son entrée. Sa vue ne cessera donc jamais de lui laisser un goût sucré sur le palais, et une tornade de fleurs dans le coeur. Il est si beau, l’elfe automnal, qu’elle n’aura de cesse de se demander chaque jour ce qu’il peut bien lui trouver. Il dessine un sourire léger, debout dans l’encadrement de la porte, dégageant le charme suscité par ses fossettes creusées. Un regard courtois mais formel de sa part, et la servante pose le peigne avant de disparaitre dans une révérence pour leur laisser une certaine intimité. En un instant il se retrouve déjà derrière Louise, qui le contemple depuis le miroir et l’écoute glisser dans l’atmosphère un doux rire. « Il est donc bien là, nous ne sommes pas que de pauvres aliénés. » L’elfe dépose un délicat baiser sur la pommette de sa fiancée, avant de murmurer à son oreille des mots faisant vibrer des milliers de papillons dans le bas ventre de cette dernière. « Dis-moi… fille ou garçon ? » Elle se lève alors, une main posée sur son ventre légèrement rond, tout en redressant le menton pour ne pas quitter des yeux son amant. Elle aimerait lui dire qu’elle a peur, peur pour eux, peur pour cet enfant. Elle aimerait lui dire qu’elle appréhende chaque jour qui les rapproche un peu plus de leur union face à ses parents, chaque jour qui les rapproche de la naissance d’un enfant qui sera peut-être aussi vert que la gemme qu’elle porte autour du cou. Elle aimerait lui confier ses doutes, mais Louise, elle se tait. Elle se tait parce qu’elle est née pour garder, et protéger ce qu’elle aime. « J’ai comme un pressentiment que c’est un garçon. » Et elle sourit, pour cacher la misère.



« Mon oncle, j’ai besoin d’argent. » Louise pose sa tasse de thé sur la table en bois de chêne. Elle caresse les dorures, le regard vide, jusqu’à qu’il racle sa gorge pour la énième fois. Il ne connaissait pas sa nièce avant ce jour et voilà qu’elle vient demander une chose qui lui est si chère. L’or. L’audace ne suffit pas, il va falloir faire preuve de persuasion pour récupérer ne serait-ce qu’une pièce de son trésor. Le vieux bougre tapote sur son accoudoir en daim, lève les yeux où il peut à part sur elle, dont le regard suppliant reflète toute la véracité de son âme. Elle n’en serait pas arrivé là si ce n’était réellement nécessaire. Mais épouser un homme digne d’être un prince se révèle plus difficile qu’elle ne l’avait prévu. Les parents de Gilgalad n’aiment pas Louise, que ce soit sa peau verte ou sa condition de sorcière noire. Elle n’a rien à faire avec leur fils. Si elle ne peut les obliger à l’aimer, elle peut en tout cas les acheter. L’argent est une chose si futile pour elle. Une chose inconnue. Pas pour eux. Leur estime grandirait si elle pouvait brandir de l’or sous leur nez. Une fille sans dot n'est pas un bon parti, et la seule raison pour laquelle elle vit encore chez eux est parce qu'elle porte en elle leur petit-fils. Ainsi, le seul à pouvoir l’aider se retrouve être le frère de sa mère. Ebenezer Scrooge. « Pour quelle bonne raison devrais-je abandonner une partie de ma fortune ? Je ne vous connais même pas très chère. » Louise baisse les yeux sur son ventre rond qui prend de plus en plus d’ampleur à mesure que les jours passent. Elle passe une main dessus pour caresser le tissu, quand, un jeune homme entre dans la pièce. Ils se dévisagent un instant, avant qu’elle prenne la parole. « Tu dois être Callum, enchantée. Je suis Louise, et là-dedans il y a ton petit cousin. Il n’y a rien de plus important que la famille, n’est-ce pas, mon oncle ? » dit-elle avant de rapporter son attention vers le vieil homme, affichant un sourire étiré. Elle n’a pas d’autres choix que de jouer sur les principes et les valeurs fondamentales qui régissent cette demeure. Tout ce qu’elle fait, elle le fait pour son enfant. « Je vous en conjure, ne me laissez pas dans la misère. Je veux ce qu’il y a de mieux pour mon enfant, et je rembourserai toutes mes dettes. J'en fais le serment. » L'homme n'accepta pas aussitôt. Il fit poiroter sa nièce des jours durant, sans qu'elle ne sache quel destin l'attendait. Elle se rendait chez lui tous les jours, apportant des sucreries et des fleurs, le harcelant jusqu'à qu'il cède. C'est ce qu'il fit, un beau jour où il ne tenait plus et se lassait, se disant qu'elle cesserait de l'importuner. « N'oubliez jamais que je vous ai fait crédit. Ne me décevez pas. »



Ding-Dong. Les cloches retentissent dans les plaines, en haut des moulins, entre les arbres de la parcelle de terre que l’on appelle la forêt d’Emeraude. Elles tintent en fracas la victoire, et sonnent une parade dans la nuit. Les étoiles se murmurent la nouvelle et ne brillent que plus sincèrement, laissant une petite place parmi elles pour accueillir la prochaine. Ding-Dong. Louise porte sa main à son coeur, le visage déformé par les traits du désespoir, de la souffrance pure. Elle hurle en silence, les lèvres entrouvertes dans un tremblement incessant qui n’ose faire sortir un seul son. Pas même un souffle. Ses poumons sont vidés, elle est entièrement brisée. Ding-Dong. Elle l’avait prévenue, elle l’avait gardée de faire tant de mal. Mais Ambre n’avait pu s’empêcher. Elle voulait toujours voir plus loin, toucher plus grand. Conquérir le monde et réduire au silence tous les obstacles se mettant entre elle et son but. C’était sa punition. La tornade n’a pas seulement ravagé l’est, elle a enfoui des maux bien plus conséquents, mais pour Louise seulement. Car il n’y avait qu’elle pour aimer sa soeur, et pardonner. Ding-Dong, la méchante sorcière est morte. Chantent les habitants et animaux. Chantent leur soulagement face aux ténèbres enfin vaincues. Elle leur avait volé des vies. Une revanche accomplie, une dette payée. Hormis, c’est Louise qui en pâti, se retrouve seule face au monde entier. Seule, à contre courant contre son passé, seule face au présent, seule à suivre l’avenir. Seule. Ses joues moites sont parsemées de gouttes salées, larmes de pitié. Elle se recroqueville, enfoui son visage dans ses mains et pleure sa perte. Ding-Dong. Le corps sans vie d’Ambre git sous la maison apportée par le vent. Ses boucles noires ensorcellent les pétales de fleur à portée, et se mêlent aux tiges comme pour communier entre vie et mort. Un lien brisé. Louise contemple les souliers de rubis d’Ambre disparaitre peu à peu, jusqu’à s’éteindre. C’est une partie d’elle qui part. Et lorsqu’elle écarte ses doigts, c’est un rouge  indélébile qui l’aveugle. Des gouttes épaisses de sang qui glissent sur sa peau, sur ses cuisses, tâchent la blancheur de sa robe. Elle a mal, si mal. Elle sent la mort s’agripper à son ventre rond. Elle était si proche du but, si proche de donner la vie. Ding-Dong. Une mélodie pour deux êtres morts cette nuit.



Louise survolait la forêt sur son balai, passant plus vite que les oiseaux bleus, traversant l’arc-en-ciel qui s’était formé après les gouttelettes de pluie. Ses yeux passaient ça et là, surveillant que rien d’anormal ne survenait entre ces arbres, derrière ces rochers. Elle notait chaque passant, paysan, animal, cherchant désespérément les souliers de rubis perdus. Les souliers de sa soeur. Car les nouveaux porteurs lui indiqueraient son assassin. Sans relâche depuis des jours, elle cherchait partout cette personne, ne s’arrêtant que lorsqu’elle tombait de fatigue. Lorsqu’elle arriva près de la grande cité d’émeraude, le palais précieux, elle remarqua un nuage de fumée anormal près des bosquets de jardins. La sorcière descendit en trombe. Le pied posé à terre, elle s’approcha le plus silencieusement du monde. Une fois proche, ses mains écartèrent délicatement les feuillages pour regarder au-delà. Une petite fille était en train de faire un feu, du moins, essayait du mieux qu’elle pouvait. Tremblotante, les vêtements rapiécés, elle soufflait de grandes bouffées d’air tout en jetant des oeillades derrière elle. Les yeux de Louise s’écarquillèrent, et il lui fallu quelques minutes pour réagir enfin. Elle retroussa ses manches et s’avança juste assez pour être vue. « Laisse moi t’aider. » Sa voix doucereuse s’accompagna d’un geste de main, et un filet d’artifices apparut. Aussitôt, des flammes apparurent sur les morceaux de bois que la gamine avait regroupés. « M-Merci. » annonça-t-elle avant de se présenter. Dorothée. « Je n’arrive pas à rentrer chez moi. Cet endroit est magnifique mais j’aimerais en partir, vous pouvez m’aider ? » Louise s’avança un peu plus, le sourire aux lèvres, attendrie par l’enfant. Elle s’agenouilla à ses côtés et replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille. « Comment es-tu arrivée ici en premier lieu ? » Ses yeux bleus dévisageaient de long en large Dorothée, quand elle fut attirée par une lueur rouge scintillant dans la sacoche derrière elle. « Je ne sais pas, je ne me souviens de rien si ce n’est d’une gigantesque tempête qui m’est tombée dessus, une tornade qui a embarquée ma maison, et moi avec. » Une encre tomba lourdement dans l’estomac de la sorcière, et son visage pâlit aussitôt qu’elle comprit. Mais elle voulait en avoir le coeur net. « Je t’aiderai si tu me donnes quelque chose en échange. » Alors l’enfant s’émerveilla et chercha à tâtons dans sa sacoche pour en sortir une paire de souliers de rubis qu’elle tendit à la sorcière. Louise les prit dans un geste lent et tremblant, tentant pourtant de se montrer la plus naturelle possible. Ses chaussures étaient la preuve même que cette gamine avait quelque chose à voir avec le décès de sa soeur. Mais elle ne semblait pas en être consciente. De même qu’elle n’avait pas eu l’occasion de se servir des souliers, puisqu’il étaient dotés d’une magie permettant de réaliser les souhaits. « Tu retrouveras ta maison, Dorothée. »



Quand un malheur se décide à frapper, il n’arrive jamais seul. Louise avait vécu bien des choses depuis le décès d'Ambre. Son enfant était mort né, son mariage avait été annulé. Elle n’avait plus revu Gilgalad depuis ce qui lui paraissait une éternité. Elle lui en voulait tant, mais elle l'aimait tant, pourtant. Pour palier à la solitude, elle mentait. Elle élevait Dorothée comme son enfant et la gardait avec elle. Par rancoeur, par amour. Elle s’était attachée à cette enfant et ne comptait pas la voir rentrer chez elle. Elle lui apprenait à maîtriser ses pouvoirs, elle lui apprenait à bien se tenir, elle lui apprenait à l’aimer. Mais Louise avait fini par apprendre la valeur de l’argent et s’était dilapidée de tout ce que son oncle lui avait prêté. Il n’avait fallu que d’un homme ; le magicien d’Oz. L’usurpateur, le sociopathe, le tricheur. Elle était tombée dans ses filets aussi vite que l’insecte se fait piéger par l’araignée. Elle l’avait cru, elle avait posé toute sa confiance en lui, et encore aujourd’hui, elle ne savait se défaire de lui. Ses frasques, ses spectacles, même les mots qui sortaient de sa bouche étaient faux. Pourtant elle continuait à revenir. Elle recommençait, encore et encore. Elle jouait, pariait, misait sur la bonté de l’univers. Chaque fois elle perdait. Les jeux d’argent l’avaient perdue et elle n’avait plus rien. Elle était fauchée. Elle rêvait d’une autre vie. Elle rêvait de la grande maison blanche de Gilgalad, de ses lèvres lui déposant un baiser. Elle se voyait allongée sur un divan, lisant un livre au printemps. Mais elle n’était que la soubrette dans la grande demeure de son oncle. Elle était la chambrière qui prenait la poussière avec les meubles, se levait toujours à la même heure, changeait les draps de toutes les chambres tous les jours bien que personne n’ait dormi dedans, aidait à la cuisine pour de somptueux repas dont aucun invités ne profitait. Mais elle se devait de rembourser ses dettes auprès de Scrooge, et c’était la seule manière. Elle avait aussi besoin d’un toit, et de compagnie. « Je ne viendrai pas. » Louise passait son plumeau sur un vase tandis qu’elle regardait dans le miroir le reflet d’Oscar, cigare au bec, assis sur le fauteuil de Scrooge. « Louise ce sera un spectacle immense, les sièges sont complets et je n’ai personne d’autre pour jouer mon assistante. Je te donnerai dix pourcent des gains. » La rousse pousse un soupir, plaque sa main sur son front et fait enfin face au prestidigitateur. Dorothée se lève, impatiente. « Je vais le faire, moi. » Oscar détourne son attention de la sorcière pour lever les yeux vers la gamine, intéressé. Son sourire s’élargit et penche le cigare fumant. « C’est hors de question. Tu restes ici je vais y aller. » Dure, sèche. Elle ignore la grimace de l’enfant et se dirige vers le magicien pour lui piquer son cigare, avant de l’apporter à ses lèvres. Elle inspire une grande bouffée avant de tout lâcher dans sa direction, et de l’éteindre dans un cendrier. « Je veux la moitié, et pas de triche. Pas de jeux. » Mais elle savait que le magicien l’aurait, encore.



« Réveillez-vous Alvin. » Louise secouait l’épaule endolorie de l’homme avachi sur le comptoir de la taverne. Un grognement rauque retentit de son corps rapiécé, tandis qu’il se mettait à gesticuler à la vue du soleil filtré par les fenêtres. Le barman attendait dans un coin, les bras croisés, que la rousse fasse sortir l’intrus qui avait, personne ne savait comment, réussi à se faufiler en pleine nuit pour vider les réserves et s’endormir là. L’homme de fer leva seulement le menton pour dévisager la dame. « Louise je vous prierais volontiers de vous mêler de vos affaires si vous étiez une femme raisonnée. Pourtant je ne ferais que perdre mon temps, nous savons tous les deux que le plus sage ici, c’est moi. » La rousse éclata de rire, un rire si sarcastique qu’il ricocha contre les murs avant de s’adoucir à ses lèvres rosées. Alvin était un personnage complexe mais ne manquait pas de sens de l’humour. Malgré ses nombreuses tentatives de repousser la sorcière, elle savait au fond d’elle qu’il n’avouerait jamais le besoin de l’avoir à ses côtés. L’homme de fer qui cherchait un coeur, envers et contre tout. L’homme qui avait jadis aimé, choyé. On lui avait arraché sa famille de manière si barbare, si brutale. Désormais il n’était plus qu’un tas de métal, une coquille vide se foutant éperdument du reste du monde, survivant uniquement grâce à l’alcool, et autres obscénités qui lui tombaient sous la main. Il trouvait refuge où il pouvait, mais Louise souhaitait être le meilleur des réconforts. « La dernière chose dont a besoin cette citadelle, c’est d’un ivrogne en plus mon cher. Alors vous allez me faire le plaisir de lâcher cette bouteille, de lever votre derrière et de retourner à votre tâche. Ce livre que vous écrivez, vous vous rappelez ? » ironisa-t-elle d’un sourire doux en lui arrachant des mains la bouteille en verre. Puis elle déposa son manteau sur son dos, avant de l’aider à se relever, sans qu’il ne bronche ou ne dise mot. L’homme de fer leva une main en signe d’adieu au barman, ponctuant son geste d’un clin d’oeil et suivit sa protectrice à l’extérieur. « Je n’arrive plus à écrire, du moins, pas quand je suis sobre. » La sorcière soupira, ne le quittant pas des yeux. Elle vint délicatement replacer le chapeau de l’homme sur sa tête et attrapa une poussière qui traînait dans sa barbe. « Venez donc voir un spectacle, cela vous changerait les idées. » Elle se mordait les lèvres tout en parlant, appréhendant sa réaction, et ne fut pas surprise de voir qu’il grimaçait sans se cacher. La fureur et l’écoeurement se lisant dans ses yeux d’ordinaire si creux. L’eau ne coule pas toujours sous les ponts. « Même s’il ne me restait qu’une heure à vivre Louise, je ne la dépenserais certainement pas pour voir et écouter les mensonges de ce magicien fou. » Louise se contenta de sourire timidement, ne sachant que répondre. Mais lorsqu’elle pensait à cette mauvaise troupe égarée de la forêt d’Emeraude, elle se demandait souvent qui était le plus fou d’entre eux.