Cecil & Suzy

You might have a little something that I want

La vie au château est trépidante, vraiment. Et je ne parle pas que des gens haut placés qui vont et viennent sans arrêt. Ils doivent tous avoir une vie bien remplie, et s'occupent des affaires les plus importantes, surtout par les temps qui courent. Mais personne ne prête jamais attention à ce qui se passe en coulisse, dans le domaine des domestiques, et pourtant, il se passe bien plus de choses que sur le devant de la scène.

Bien évidemment, tous les domestiques n'ont pas la même vie : il y a ceux qui ne sont là que pour faire leur travail, qui viennent le matin, font leurs corvées et repartent sans s'occuper d'autre chose. Et puis il y a les autres. Il y a moi. Je fais partie de ceux qui ne font que ce travail que pour mieux profiter des à côtés qu'il offre. Et quels à côtés ! Travailler au château, c'est un peu faire une chasse aux trésors permanente, où les trésors ne sont jamais les mêmes. Il y en a pour tous les goûts : de la nourriture gratuite et délicieuse que l'on peut goûter en cuisine, aux pièces de valeurs dont personne ne remarque jamais la disparition tellement il y en a, en passant par l'exploration de zones strictement interdites au public et qui sont inconnues des habitants du château eux-même. Vraiment, il suffit d'ouvrir l'oeil et de savoir comment dénicher ce qu'on veut pour l'avoir.

Bien sûr, il y a aussi des ressources que seuls les plus habiles d'entre nous ont accès. Fort heureusement, j'ai toujours été très habile : on ne devient pas Dame de Chambre de la Duchesse Plumosucre comme ça, ça se mérite. Mais n'allez pas croire que je sois là pour servir cette écervelée, non. Si j'occupe ma place actuelle, c'est pour les secrets. C'est fou le nombre de choses qui se trament en une journée dans un royaume. C'est également fou de voir combien il est facile pour nos dirigeants de partager leurs secrets quand ils pensent être avec quelqu'un digne de confiance, à la fin de la journée. Comme quoi, tout le monde a besoin de vider son sac. Et même si la duchesse me cache des choses, rien ne m'empêche de fouiner dans les papiers lorsque je fais sa chambre, ou de laisser traîner une oreille quand je surprends une conversation.

Le seul problème, dans tout ça, c'est que les secrets ne se monnayent pas aussi facilement que les bijoux. Il faut trouver quelqu'un digne de confiance, qui ne vous trahira pas à la première occasion, et qui est prêt à payer une somme assez importante, le tout sans éveiller les soupçons. Et ça, évidemment, c'est plus facile à dire qu'à faire, surtout pour une femme de chambre qui ne sort que rarement de l'enceinte du château et qui ne sait pas où chercher un acheteur potentiel. Donc à part Chess, je n'ai pour l'instant personne à qui vendre les informations que j'entends, et pourtant j'en entends un bon paquet...

Mais là où je n'ai aucun souci, c'est pour revendre mes bijoux et autres argenteries volées. Même si je ne connais que très peu Fort Fort Lointain, il ne faut pas être un génie pour trouver les endroits malfamés où traînent les malfrats. Et dans cette ville, c'est Ragtown qui rassemble la quasi-totalité des endroits à éviter lorsqu'on ne veut pas d'ennuis. Il m'a fallu un petit moment pour trouver où revendre exactement les objets du château, mais à force de chercher, et de jouer de mes charmes, j'ai fini par savoir où se trouve le marché noir.

La Griffe Marine. Je ne m'y rends qu'une fois toutes les deux semaines et jamais le même jour à la même horaire. Je ne suis pas paranoïaque au point de penser que je suis suivie, mais on n'est jamais trop sûr. Aujourd'hui, d'ailleurs, je suis au beau milieu du marché, cherchant mon acheteur habituel, parce que j'ai un bon paquet de trouvailles pour lui, et que j'ai vraiment envie de m'acheter la nouvelle robe de chez Versachery, alors j'ai besoin d'une rentrée d'argent. Oui, parce que travailler au château, c'est bien pour les ragots, mais le salaire de Dame de chambre n'est pas non plus astronomique.

Me voilà donc à arpenter les allées en essayant de me faire discrète. Je ne m'attends pas à me faire accoster de toute façon, ça ne m'est jamais arrivé depuis que je viens, mais comme je l'ai déjà dit, on est jamais trop prudent...

Suzy et Cecil

music on

- dis moi... ça ne t'est jamais venu à l'esprit que tu puisses être cinglé ?
- comme un renard, répondit-il.

Fort fort lointain était son royaume. Et la griffe marine, un palace qu'il pouvait agrémenter d'à peu près tout ce qu'il voulait. Les grands de ce monde pouvaient bien affirmer que ce n'était pas le cas, le nouveau roi pouvait bien croire qu'il était celui qui dirigeait le lieu, pour Cecil, cela ne faisait aucun doute : La Griffe Marine était devenue le centre de tout. Le cœur battant de cet univers pourri jusqu'à la moelle, et parmi ceux qui le faisait battre se trouvait Piebavarde, toujours là où on ne l'attendait pas, mais surtout là où on ne le voyait pas. Depuis les récents événements, le marché noir avait pris de l'ampleur, une célébrité grandissante et l'homme en noir s'en réjouissait - mieux, il s'en félicitait. Pourtant, il cherchait encore à faire plus. C'était ainsi qu'il fonctionnait. Parce qu'il n'en avait jamais assez. C'était le propre des personnes ambitieuses, et tout le monde savait comme Cecil pouvait l'être. Il en était l'archétype, même. Le gars qui avait tout, mais qui n'était rien. Et bon sang qu'il aimait se complaire dans ce mode de vie si abstrait pour les autres. Cela faisait déjà très longtemps qu'il ne s'occupait plus de ces derniers, d'ailleurs. Il continuait sa route, les mains dans les poches, un sourire mutin aux lèvres, l'air invincible - le pire était qu'il croyait encore l'être, malgré ses douloureuses remises en cause, et les remords qui le rongeaient mais qu'il essayait encore de repousser. Oh, ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne cède, il le savait lui-même - il était bien le seul à le savoir, mais avant cela il ferait tout pour limiter la casse. Ce n'était pas ce qu'il avait l'habitude de faire, mais puisque les dégâts allaient affecter son propre cœur, alors il s'en occuperait. De toute manière, il était égoïste. Tout le monde le disait. Personne ne l'ignorait. Et il mettait toujours un point d'honneur à tous les satisfaire. "Y'va avoir beaucoup d'gars qui vont parier sur lui, la fois proch'aine." L'interpellé continua sa route, tandis que l'homme lui parlait de son combattant, qu'il avait déniché il ne savait où et qui semblait pouvoir gagner l'univers avec ses poings. C'était du moins ce que son compagnon de marche lui affirmait, un avant-goût avant leur rencontre. Cecil ne se démonta pourtant pas, il laissa le silence planer un instant, regardant devant lui avant d'attraper sa montre à gousset, un bel objet qu'il avait eu en cadeau, en gage de sa gratitude. Et de ses services. Il y avait de cela des lunes. Il mémorisa l'heure, et voyant qu'il ne serait pas à temps là-bas en continuant ainsi, il pressa derechef le pas, suivi difficilement par l'autre. "Ne fais pas l'erreur de croire que tu sais de quoi tu parles, veux-tu ?" le somma-t-il, accompagné de son petit sourire condescendant. Il n'attendit pas qu'il s'offusque, sachant pertinemment comme il pouvait être quand il s'énervait, et avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, reprit la parole après s'être arrêté pour lui faire face. "Nos chemins se séparent ici. J'ai des affaires à régler, je te rejoindrais plus tard, d'accord ? Je verrais ce que cette bête que tu as trouvée vaut en temps voulu." Il avait posé l'une de ses mains sur son épaule, et le fixait droit dans les yeux, ce qui avait pour habitude de le déstabiliser, un fait qui ne manquait pas de faire rire Cecil. Pourtant ce dernier était sérieux, ici, et lorsque l'homme répondit, il était déjà bien loin. L'heure était l'heure. Quelque chose qu'il avait appris à ses dépends. Quand on ratait une seconde, tout un plan pouvait s'écrouler. Il fallait toujours être ponctuel, assidu, exact. Cecil devait l'être, en tout cas.

Lorsqu'il arriva, elle était là. Dans sa cape, comme toujours. Elle passait inaperçue aux yeux du commun des mortels, mais on ne pouvait pas duper Piebavarde ici. Pas chez lui. Il connaissait chaque recoin de la Griffe Marine, chaque personne qui composait ce bordel rampant, et pourtant si bien organisé. Cela faisait des semaines qu'il avait remarqué la jeune femme. Les nouvelles têtes - ou silhouettes, dans son cas, puisqu'il n'avait vu son visage que dissimulé sous son capuchon - l'intéressaient toujours, et il mettait un point d'honneur à savoir ce qu'elles pouvaient bien faire ici. C'était ainsi qu'il avait commencé à l'observer de loin, et bien vite il avait vu que ce qu'elle avait à vendre était très intéressant. Les passants lui achetaient des bijoux, de vrais joyaux, pas des faussaires comme on pouvait en trouver ici. Quant à la vendeuse, il avait remarqué qu'elle venait toujours à des heures irrégulières, à des jours non prévus, car très aléatoires, pourtant il y avait une logique dans ses venues, sûrement à cause de son emploi du temps au travail - à son autre travail. Après tout, elle ne pouvait sûrement pas le quitter dès que l'envie lui chantait. Il lui fallait attendre, et ainsi les horaires étaient plutôt prévisibles. Certes, plusieurs fois, Cecil s'était fait doublé de vitesse. Mais ce n'était pas le cas aujourd'hui.
Non, aujourd'hui était différent. Il le sentait.
L'intendant resta à l'écart un moment, observant ses faits et gestes, et voyant qu'aucun client ne venait, il s'approcha discrètement, sans pour autant se cacher. Il n'en avait pas besoin. Il l'a suivit de cette manière à travers le passage, jusqu'à ce qu'une nouvelle allée fasse son apparition, et qu'il soit assez proche d'elle, de façon à ce qu'elle puisse le sentir, et comprendre qu'il voulait qu'elle tourne. Peu de personnes aimaient se rendre dans une de ces ruelles en coupe-gorge complètement vide, qui caractérisait la scène type d'une mauvaise rencontre, ce fut pourquoi Cecil l'aida à s'y rendre en posant la main sur son épaule, sans rien dire. Il devait avoir l'air menaçant. Sûrement l'était-il à cet instant-là. Cependant il l'a lâcha rapidement, et s'éloigna un peu d'elle plus pour qu'elle ne puisse en aucun cas essayer de se défendre plutôt qu'elle ne comprenne soudainement qu'elle devait prendre ses aises. Ceci fait, il replaça ses mains dans ses poches, un air calme peint sur le visage. "Ainsi tu crois que tu peux comme tu le souhaites venir vendre tes breloques ici, sans aucune permission ? Adorable ! La griffe n'est pas un moulin, petite. Tout le monde sait cela. Sauf toi." Son ton menaçant était un masque, son visage hautain l'avait été, il y a très longtemps, avant qu'il ne prenne totalement possession de sa personne. Il espérait que cela fonctionne. Il avait tellement à gagner. Et elle aussi, si elle était assez intelligente pour le remarquer.

Cecil & Suzy

You might have a little something that I want

Le seul vrai soucis, dans cette affaire de revente de bijoux au marché noir, c'était non pas de s'y introduire sans éveillé l'attention du personnel du château, des gardes qui patrouillent constamment la ville ces derniers temps ou encore des habitués de la Griffe Marine. Non, le soucis, c'est d'éviter les pervers, les truands et les ivrognes qui s'enflamment à la vue d'une frêle femme. Non parce qu'évidemment une cape ne dissimule pas le fait que je suis une femme, et une femme bien loin du stéréotype de l'hargneuse sans la moindre once de féminité que je vois dans ce genre d'endroit. Jusque là, cependant, j'ai toujours réussi à les éviter, quelques fois de justesse, d'ailleurs. Mais aujourd'hui, je crois que je ne vais pas pouvoir y échapper.

Un homme me suit, sans même essayer de se cacher, alors que je me fraie un chemin jusqu'à une nouvelle allée. Je ne peux pas le regarder directement, ce serait lui accorder une attention qu'il meurt probablement d'obtenir, mais de ce que j'ai pu apercevoir, il n'entre ni dans la catégorie du truand, ni dans celle de l'ivrogne. Parfait, pervers donc. Ma catégorie préférée. Et avec un peu de chance, c'est aussi un psychopathe sur les bords, ou du moins un peu déséquilibré. C'est toujours le cas, dans ses situations. Un petit malin sournois qui croit pouvoir abuser d'une femme sans défense en se basant sur ses petites ruses. Une sorte de Kyle, en somme, et s'il continue comme ça, il va s'en mordre les doigts, comme Kyle. Enfin, il n'a pas eu le temps d'avoir de regret, mais c'est l'idée. Si tout va bien et qu'il n'est pas trop téméraire, il va me lâcher lorsque j'aurai atteint un endroit moins malfamé. Sinon, il va falloir l'intimider, et ça ne me pose pas de problème.

Je me tends lorsque sa main se pose sur mon épaule, me guidant ainsi dans une artère plus à l'écart. Monsieur est un téméraire, mais je suis préparée : j'attrape discrètement la dague sanglée sur mon avant-bras, frissonnant au contact de la lame froide. Je m'apprête à me retourner et lui asséner un coup, comptant sur l'effet de surpris, quand il retire sa main de mon épaule avant de la rentrer dans sa poche. Inhabituelle, comme action. Je décide de lui accorder le bénéfice du doute, intriguée.

Un sourire pincé se forme sur mes lèvres lorsque je découvre son physique plus en détail, et que j'entends ce qu'il a à me dire. Il a tout d'un parfait gentleman : élégant, calme, une attitude totalement maîtrisée. Son ton menaçant tranche un peu, mais je ne suis pas idiote et discerne parfaitement qu'il me jauge, joue à un petit jeu que je ne connais que trop bien. La lueur d'intelligence dans son regard appuie ma théorie : il est comme moi, joueur et stratège. Pour autant, tout ça ne me dit pas ce qu'il me veut, alors autant rentrer dans son petit manège et lui poser la question.

"Il est tout aussi adorable de penser que je ne suis pas à ma place ici. Ça fait un moment que je vends mes bijoux, qui n'ont rien de breloques mais je suis certaine que vous le savez parfaitement, et personne n'est jamais venu me demander des comptes. Je suis une grande fille et je me débrouille très bien toute seule. Alors si tu laissais tomber ton numéro de grand méchant et que tu me demandais directement ce que tu es venu chercher, petit ? Tu n'as rien d'un brigand sans cervelle, c'est évident, et nous savons parfaitement tout les deux que tu ne fais ton petit numéro que pour me jauger, alors maintenant que tu sais que je suis au moins aussi au courant des règles du jeu que toi, si on entrait dans le vif du sujet ?"

Je rattache ma dague sans même essayer d'être discrète. Il est évident qu'il est là pour me parler, et non pour m'agresser, et il doit parfaitement savoir que je suis loin d'être assez sotte pour me balader sans être armée, alors pourquoi le cacher ?