C’est pas des morts qu’il faut avoir peur, c’est des vivants.
13 ans, septembre 1356☾ ☾ ☾ « GILGALAAAAAAAAD ! » Hurle Eugénie Pepindpom, d'une façon si aigüe que le concerné par cette hystérie ne peut que grimacer en se calant un peu plus contre le mur, juste derrière l'immense porte qui donne sur la bibliothèque familiale. N'ayant bien sûr aucun courage pour se dénoncer, il se retient de respirer pour ne pas que sa mère le retrouve et lui passe un savon. Cependant, ce serait mal la connaître et aucune surprise n'apparaît à son visage lorsqu'une horrible douleur lui tire dans l'oreille gauche. Elle l'a attrapé, le tire sur son point sensible qui pourrait le faire pleurer si on allait trop loin. Le propre d'un elfe, la pire torture qu'on l'on puisse lui imposer. L'enfant écarquille ses prunelles claires en se débattant à peine sous les ongles manucurés de sa génitrice qui s'est donnée un mal de chien à le mettre au monde.
« WAÏEUH. M-MERE C'EST INSUPP - AAAAAÏE. » Qu'il chouine seulement, elle ne fera qu'augmenter le pincement sur sa peau trop fragile. Elle le tire en dehors de sa cachette plus que minable et lui fait voir l'étendue des dégâts, à la réalité c'est tout juste si elle ne le lance pas dans la pièce mise en un fouillis incroyable. Et tout ça ? A cause de lui, bien évidemment qui d'autre ! En tant que fils unique, il serait invraisemblable qu'elle meugle après un quelconque fantôme. Gilgalad ne peut s'empêcher d'avoir un sourire penaud sur la trogne, il grimace un peu plus en sentant la main de sa mère se faire de plus en plus forte.
« Qu'est-ce donc que tout cela ?! » Oh, si elle savait.
« Une terrible erreur de parcours mère. » Il n'a pas le temps de dire ouf qu'elle le pince encore plus, il pourrait en tourner de l'oeil si ça continue ! Que diable, la pauvre Eugénie recherche seulement la vérité qu'il dissimule. Faisant la moue il est raide comme un pique et pousse un soupir autant déphasé que résigné.
« Je - AÏE. Pourriez-vous relâcher mon oreille ? C'est - AÏE. BON, j'ai seulement voulu mettre en pratique les enseignements de père, et il faut croire que je ne suis pas encore très doué-ééééé. AÏEUH. » Entre une elfe de l'été et un elfe de l'automne, forcément il a fallu que le gène du père passe en premier sur lui, offrant à l'enfant de treize ans une capacité à gérer le vent tel qu'il le souhaite en plus de pouvoir se camoufler à sa guise - maîtrise qu'il n'a pas encore, sinon à ne pas en douter il ne serait pas là à se faire tirer l'oreille. Une fois relâché lamentablement, il frotte frénétiquement le morceau de peau malmené.
« Jeune oreilles pointues, tu vas devoir réparer ton erreur et vite ! Cette bibliothèque regorge d'ouvrages précieux pour ton père et moi, alors tu vas ranger tout ce que tu as jeté hors des meubles ! » Comme seule réaction Gilgalad se met à mimer les paroles de sa mère de façon muette certes, néanmoins elle ne lui échappe pas et elle se rapproche, les sourcils froncés et les naseaux bien dilatés.
« Qu'ouïs-je ? » Flûte, si ça continue il va se ramasser une belle beigne, il ne faut jamais chercher les ennuis avec un dragon tel que cette femme à l'allure plus que plaisante.
« Rien mère, j'y cours, j'y vole même ! » Elle lâche un souffle puis passe une main sur son front suant de lassitude.
« Et je ne veux rien entendre mon fils. »Alors c'est dans la plus grande accalmie qu'il attrape les précieux ouvrages, qu'il les range avec le plus grand soin et qu'il regrette amèrement d'avoir osé mettre en pratique ses pouvoirs. Pestant le plus au monde, il se baisse, il monte sur des petites échelles et perçoit le temps passer avec une lenteur qui l'embête plus que n'importe quoi ou qui, plus loin il peut entendre ses parents discuter des affaires qui sont florissantes ces derniers temps. Tant mieux, ce serait appréciable qu'ils s'occupent un peu de lui parfois, il serait probablement moins propice à l'escapade de bourrasques de vent. Sourcils froncés, son attention est soudainement accaparée par un bruit venant cogner contre la fenêtre en verre, au départ pensant que ce n'est qu'une branche il n'en a cure, néanmoins au bout de la troisième il se décide enfin à tourner la tête. Des pierres sont lancées, petites elles ne causent aucun dommage mais juste assez de bruit pour qu'un dénommé Gilgalad devienne curieux. Ne pouvant résister à un tel appel, c'est avec un pétillement malicieux dans le regard qu'il ouvre l'immense carreau. Même pas besoin de baisser la tête pour qu'il se prenne en plein milieu du front un caillou ridicule qui sur l'instant le fait reculer d'un pas en couinant avec discrétion pour ne pas attirer ses géniteurs.
« OH ! Gil' j'ui désolé... » Ce ton minaudé, ce timbre aussi viril qu'un chaton miaulant qu'il veut son lait, le prénom qu'il peut coller à ce qu'il entend vient tout naturellement. Ebenezer. Son ami de toujours, le petit humain qui apprécie passer des après-midi en compagnie de l'elfe de l'automne qui ne se lasse pas de lui en retour. De cinq ans son cadet, il fait preuve toutefois d'une maturité qui l'étonne de jour en jour et avec hâte il se repenche au rebord de l'ouverture.
« Pas la peine de mentir, je sais que tu aimes me lancer des tomates pourries ! Même si là, ça n'a pas d'odeur et ça fait franchement mal. » Machinalement il frotte l'endroit attaqué par le projectile du plus jeune qui se met à jouer avec ses doigts, signe qu'il s'en veut et n'a pas compris la nuance de la blague de l'aîné. Roulant un peu des yeux, dépité de ne pas avoir eu autant d'effets que voulu, il se met à pianoter ses doigts sur le rebord de la fenêtre regardant son très cher ami Scrooge junior de façon plus que curieuse.
« Tu as toute mon attention, que m'veux-tu Ebe ? » Il se doute de ce qu'il souhaite, il pourrait même le murmurer à sa place s'il le voulait. Par contre, ce serait mal connaître le fils Pepindpom puisqu'il désire l'entendre de sa petite bouche tremblante qui n'a pas confiance en elle. Inspirant profondément, il apprécie cette sensation d'être autant aimé par une présence si jeune. Et pourtant, en y pensant plus sérieusement il se dit que d'ici une dizaine d'années, lui aura l'air plus jeune que celui qui devrait l'être en réalité. Ah, les joies d'une existence brodée autour d'une magie incompréhensible, ça vous réserve une jeunesse plutôt conséquente.
« Hm, et ben, hm, tu veux venir jouer avec moi ? » Ils se prendront pour des conquérants, des dragons, des frères ennemis pourquoi pas, dans le pire des cas ils peuvent même rester ce qu'ils sont et juste se balader entre les arbres. De ce qu'il en sait, le jeune garçon s'amuse énormément de son pouvoir qui vient de mettre un un bazar incroyable dans la bibliothèque. Ils seront là, ils riront jusqu'à ce que la nuit tombe et recommenceront le lendemain, puisque c'est de cela qu'est faite leur amitié ; d'une innocence qu'eux seuls connaissent. Pinçant sa lèvre inférieure, Gilgalad lance une oeillade dépitée à l'arrière de la pièce qui n'est pas encore totalement brillant. Son coeur balance entre la raison et son envie. Et pourtant, c'est assez court pour que le voilà déjà entrain de débouler dans les escaliers avec la discrétion d'un âne mort, il se rue à l'extérieur avant de se faire attraper puis, prenant la main de son cadet dans la sienne il se met à courir le plus vite possible vers le bois voisin tout en écoutant sa pauvre mère hurler à la mort.
« GILGALAD PEPINDPOM ! » Parce qu'aucune injure ne saurait si bien définir l'elfe qui n'arrive pas à se faire à des règles trop strictes.
Maladroite, gauche, la démarche de la sorcière noire se veut très irrégulière et c'est un fait indéniable : ce livre posé sur sa tête ne l'aide même pas à se tenir plus droite. Il tient quelques mètres, jusqu'à ce que dans un bruit sourd il s'effondre sur le marbre brillant de l'immense salon des Pepindpom. Famille jadis réputée, elle fut indéniablement rattrapée par la crise de 1378 qui fatale pour leur commerce ne put que les appauvrir. Alors dans cette pauvreté naissante ils sauvent les apparences en ayant gardé des décorations affriolantes, en ne voulant pas vendre cette immense maison semblable à un manoir entre les griffes d'un autre. Tapotant du pied, Gilgalad apprécie les nouvelles joies amoureuses qui traversent son corps : elles sont légères, délicates et délicieuses. Tout cela grâce à Louise, une femme à la peau verte qui n'a même pas d'oreilles pointues néanmoins elle lui plaît par sa candeur, sa gentillesse qui fait rayonner n'importe quelle zone d'ombre. Actuellement, son compagnon essaie de lui apprendre à danser et avant de savoir faire une valse, il faut savoir bien se tenir, ce que la demoiselle n'arrive visiblement pas à faire. Gloussant de façon cristalline, elle grimace en ramassant l'ouvrage ayant à peine souffert de cette situation. Alors l'elfe de l'automne en profite pour se glisser dans son dos et l'enlacer, ses mains passant sur son petit ventre pour la ramener contre lui. Le nez niché dans le creux de son cou, il y dépose un baiser enfantin qui chatouille la pauvre victime de cette attaque niaiseuse.
« Mademoiselle Gemeraude, vous êtes une cause perdue parce qu'en plus de ne pas savoir coordonner vos membres, vous abîmez les glorieux livres de ma famille. » Sur un ton très peu crédible, elle comprendra là qu'encore une fois il se moque d'elle. Lui accordant une petite tape sur le front, Gilgalad en plisse le bout de son nez tout en tirant une mine outrée et ses lèvres grimpent petit à petit sur sa mâchoire puis sur sa joue sur laquelle il s'attarde plus que de raison.
« Est-ce vraiment ce que tu crois à mon sujet ? Avec un peu de persévérance, je suis sûre que je pourrais remonter dans ton estime. » Elle a déjà sa place depuis un temps qu'il a oublié, quelques semaines, quelques mois, quelques années ? Il ne s'en souvient plus, ce qu'il sait par contre c'est qu'en sa compagnie l'écoulement du sablier du monde s'écoule beaucoup plus lentement. Leurs regards se croisent, ils se plongent et se dévorent pendant que le coeur du garçon bat à tout rompre contre son torse blafard.
« Il ne faudrait pas que tu te fatigues trop non plus, je connais quelqu'un qui ne serait pas très satisfait de te voir te mettre à mal pour peu, en plus de moi. » Comme geste révélateur, il se met à caresser du bout des doigts le ventre plat de sa concubine qui automatiquement y jette une oeillade, le sourire attendri collé sur son visage porcelaine. Enceinte depuis à peine trois semaines, même si ses beaux-parents n'apprécient pas sa présence, Louise Gemeraude veut continuer à espérer un peu plus, pour eux et tout ce qu'ils pourraient construire ensemble dans un futur proche. Les Pepindpom n'approuvent aussi pas les fiançailles étant donné que leur belle-fille n'a pas de richesses, alors pour lui faire comprendre lors de dîners obligatoires pour se connaître un peu plus ils n'hésitent pas à la dévisager, à lui lancer des piques qui n'ont plus leur place dans la bienséance. Si Gilgalad souffre pour elle, il ne peut agir en conséquence outre répéter à ses géniteurs que les schillings ne peuvent acheter le bonheur, vision idéaliste qu'ils lui répondent et la dispute s'arrête au bout de quelques secondes dans une amertume encore palpable. Se mettant une gifle mentale pour ne plus être hanté par de telles images, la sorcière passe ses mains sur les siennes, les serrant par la suite elle murmure.
« Et s'il est aussi têtu que toi, je risque de bien vite regretter mes faits et gestes. » Et il n'y a rien de pire que de trop tenir de cet elfe qui se contente de penser à l'instant présent, non pas au futur parce qu'il pourrait y voir des ouvertures beaucoup trop sombres. Il reste là, calé contre elle à ne plus vouloir la relâcher, demandant au ciel que cet instant dure une éternité, que jamais il ne s'arrête et qu'ils puissent garder cette candeur de parents à en devenir. Mais la vie donne, oh oui elle donne beaucoup de cadeaux, et quand l'envie lui vient elle peut reprendre tout ce qui a été offert sans aucun scrupule. C'est dans le laid que tout est beau, c'est dans le beau que tout est laid, c'est dans la noirceur que se trouve la lumière, c'est dans cette lumière que la noirceur arrive à naître. L'un n'est rien sans l'autre, et la joie va de pair avec la douleur.
Dans le blanc des yeux, dans le silence, dans la fadeur de la grande salle, c'est de cette seule manière qu'ils arrivent à communiquer. Quelque chose est mort. Quelqu'un a disparu. Quelqu'un n'est plus. Et c'est à cause de cela qu'ils en sont à ce stade. Il ne saurait dire ce qu'il arrive à son coeur, peut-être qu'il a cessé de battre, peut-être est-il aussi vide que le sien, aussi creux et pourtant plus un sourire, plus un rire dans cet endroit qui fut pourtant témoin de tas de promesses. Il aurait voulu la protéger sa belle Louise, il aurait voulu la garder dans ses bras à jamais pour qu'elle ne subisse pas une telle épreuve. Pour qu'ils n'aient pas à se prendre un maelstrom pareil dans un coin de la figure. Si au moins il n'était qu'une perte ridicule, or il n'en est rien, il en est beaucoup plus. Une partie d'eux s'en est allée, celui d'un futur à consommer à deux tout autant. Recroquevillée contre sa petite poitrine, celle qui fut sa promise se retient une énième fois de pleurer. Il faut croire qu'elle n'y arrive plus, ses prunelles sont sèches à l'instar du désert de Maldune. Sa peau est plus pale qu'à l'accoutumée, sa maigreur est à pleurer et le pire dans tout cela, doit être que ce n'est pas encore arrivé. Qu'en plus d'être impuissant, il n'arrive plus à faire renaître la flamme de leur couple si bien façonné pourtant. Autour d'un amour bête, niais à en vomir du dégoût envieux, de ce genre d'amour qui n'arrive qu'une fois dans une vie, pourtant si fragile le voilà éclaté sur le sol, là où ils ont mis les pieds. Là où leur enfant aurait pu apprendre à marcher tout en gazouillant avec légèreté. Il n'est plus là ce bambin, il n'est qu'un souvenir, qu'une boîte enterrée sous un arbre centenaire, là où ils préfèrent se recueillir. Un garçon ? Une fille ? Ils ne le savent pas, probablement en valait-il mieux ainsi, au moins sans prénom c'est instantanément plus simple à oublier. Si cela est possible. Il le sait, ça ne le sera jamais. Pas du côté de la belle, pas de chez lui aussi. Ils se sont oubliés dans les méandres d'une histoire qui n'a eu que des conséquences tragiques. Alors Pepindpom se lève, s'approche lentement de sa moitié puis se penche pour déposer avec délicatesse ses lippes contre son front lisse. Une pression, un son à peine audible puis enfin un murmure brisé.
« Pardonne-moi. » Parce que c'est tout ce qu'il peut lui demander pour ne pas avoir pleuré, pour ne pas avoir hurlé, pour n'avoir rien laissé transparaître pour garder son petit rictus malin en coin, pour lui faire partager un peu de sa lumière. Pourtant, comment est-ce possible lorsque celle-ci est factice ? Il ment aussi bien qu'un saltimbanque, il apprécie à se créer des illusions qui ne veulent plus rien dire. Il voit sans voir. Il se veut aveugle au pays des borgnes, il ferait mieux de se laisse dépérir, cela vaut sans doute mieux pour son entourage.
C'est terminé. Alors Gilgalad recule, se perd à son tour ailleurs, une fois loin d'ici il se le permet en sentant des larmes brouiller sa vision, il se donne le droit.
Le droit de souffrir lui aussi.
70 ans, juillet 1413☾ ☾ ☾ Sa peau diaphane, son sourire délicat, ses lèvres qui ressemblent à des bonbons acidulés, son regard pétillant d'une malice jamais vue encore par le jeune Pepindpom. Face à lui, assise sur un sofa bleu nuit recouvert d'étoffes précieuses et de coussins colorés, Tinúviel Mentâlo termine avec douceur son thé à la violette pendant que son invité penche sa tête sur le côté pour détailler un peu plus ses traits. Divinement vêtue pour ne point changer, c'est une robe pourpre qui met en valeur ses courbes harmonieuses ainsi que sa chevelure tressée à la perfection, il n'en a que le coeur plus serré le pauvre elfe de l'automne, et pour cause il doit attirer la riche héritière dans ses filets pour s'accaparer sa fortune colossale, un ordre demandé par ses parents envieux de surcroît. Pinçant sa lèvre inférieure, ses iris clairs se baissent l'espace de quelques secondes pour zieuter avec attention ses bottes bien cirées, ce doit être le seul vêtement qui lui donne une quelconque allure princière, si déjà il doit lui mentir, il ne veut pas se cacher dans ses retranchements pour lui faire croire en un autre être, surtout pas. Inspirant profondément, il sort de sa rêverie grâce à l'elfe du printemps qui a posé sa tasse sur la table basse en marbre, c'est en croisant ses prunelles que Gilgalad se sent défaillir. Autant de beauté, autant de gentillesse dans une seule personne, il ne peut pas se permettre de la souiller avec un masque de démon sur le visage. Secouant sa tignasse bien coiffée, il se lève, s'approche d'elle et lui tend avec amusement son bras.
« J'ai à vous parler ma Dame, et pour agrémenter mes paroles, que diriez-vous d'une balade dans vos jardins ? Le soleil est haut aujourd'hui et les roses ne feront que s'embellir en vous voyant. » Quel bel outil que celui de la flatterie, il marche à peu près sur n'importe qui quand on sait être parfaitement sincère et de tout ce qu'il a pu murmurer jusque-là il n'y a qu'une réalité à laquelle il s’accommode. Retenant un rire mélodieux, la concernée attrape son avant-bras, s'y accroche puis se laisse totalement emporter par la curiosité.
A l'extérieur, c'est un doux mélange écarlate et vert qui lui saute royalement aux yeux. L'air pur s'incruste dans ses poumons souillés par les odeurs de la capitale, sa compagne de route arbore une mine plus que radieuse et surtout, Gilgalad ne peut s'empêcher d'être fasciné par les nombreuses fleurs qui ornent les bosquets. Dire qu'il va peut-être tout gâcher, dire qu'il va probablement s'attiser la haine d'une personne aussi précieuse qu'abordable, bon sang il se hait déjà rien qu'à l'idée de rassembler les mots qui vont lui dire toute la vérité.
« Elles n'ont jamais été aussi belles qu'au printemps... » Qu'elle souffle, probablement nostalgique du temps où elle pouvait passer des heures à courir entre les feuillages avec un animal de compagnie. Il se l'imagine plutôt bien à vrai dire, il a du mal à croire que petite elle était irréprochable, tout au contraire, elle devait être comme lui, à réveiller en ses parents une frayeur gigantesque ainsi qu'un désespoir plus que conséquent. Un petit rire de gorge lui échappe à cette simple pensée, toute son attention se pose sur Tinúviel encore plus resplendissante dans un endroit naturel - ou presque.
« Tout comme vous, après tout, si je ne m'abuse nous sommes en avril et c'est ce mois-ci que vous avez vu le jour, je comprends beaucoup mieux pourquoi vous rayonnez. » Encore une touche de poésie pour s'envoler vers les nuages. Il inspire profondément pendant que la jeune femme lui adresse un petit coup de coude taquin, le déstabilisant complètement dans sa marche déjà peu sûre.
« Vous n'êtes qu'un vil flatteur Gilgalad, vil mais plutôt bon je dois l'avouer. » Son regard se plonge dans le sien, il y voit les océans les plus lointains, croise aussi la route des ciels les plus bleus jamais aperçus, son palpitant rate un bond, il déglutit jusqu'à ce qu'elle reprenne.
« Que vouliez-vous me dire ? » C'était trop beau pour être vrai, ne pouvant plus que prendre son courage à deux mains il cesse de marcher subitement pour se trouver face à la sylphide candide. Se faisant violence pour éviter à sa lâcheté de prendre le dessus, il préfère la vérité au mensonge c'est indéniable.
« Je ne veux pas vous entourlouper, ce n'est pas ce que je souhaite, pas pour vous ni pour... personne. » Commençant doucement, la riche héritière n'arrive pas à comprendre le but de cette manoeuvre et le montre bien en le dévisageant, décontenancée.
« Sans l'obligation de mes parents de venir vous voir, je n'aurais probablement jamais fait votre rencontre. Ce que je ne regrette pas, vous en conviendrez. Je devais venir, vous charmer, vous épouser pour rafler votre fortune pour redonner sa grandeur à ma famille, et avant qu'il ne soit trop tard je préfère seulement être honnête avec vous. Sachez que dans cette histoire je n'ai aucun rôle si ce n'est celui du pion, mon but n'est pas de vous faire souffrir, oh je n'en ai vraiment pas envie, surtout pas un si beau visage... Et vous pouvez me haïr, j'en comprendrais les raisons. » Arraché telle une couture qui menaçait de craquer, elle vient de le faire sous l'impuissance des deux oreilles pointues. La main de Tinúviel se lève dans les airs, il sent la gifle lui tomber sur le coin de la trogne à mille lieux au moins. Fermant les yeux par automatisme tout en tirant une superbe grimace, c'est avec étonnement qu'il reçoit juste une douce caresse sertie d'un large sourire lorsqu'enfin il veut bien retourner à la réalité. Papillonnant des cils et parfaitement déboussolé, il reste muet l'espace de quelques secondes la bouche à moitié ouverte pour pousser sa béatitude.
« Que pensez-vous de moi Gilgalad ? » Oh ça, s'il s'y attendait, il aurait préparé une petite note pour l'aider à se sortir de ce bourbier absolument gigantesque. Si ses parents le voyaient, son père lui enverrait sans aucun doute une rafale de vent jusqu'à ce qu'il finisse dans les ronces et se plaigne à cause des coupures, quant à sa mère elle l'attraperait pour lui tirer les pointes. Gonflant ses joues l'espace de quelques secondes, il se surprend à regarder attentivement un point invisible sur les cheveux de sa douce pour se trouver une quelconque once de courage, encore une fois, c'est que ça commence à faire beaucoup en matière d'audace.
« Et bien... Vous êtes intelligente, j'apprécie converser avec vous tout comme j'aime détailler avec attention les traits de votre visage, vous m'êtes plus qu'agréable et si je ne puis vous garder en tant qu'amie, je mentirais en vous affirmant que je ne serais pas triste car vous seriez une grande perte. » Les joues de la sylphide rougissent à peine, elle continue sa caresse sur sa peau pâle avant de s'en détacher délicatement pour reprendre sa route, laissant un Gilgalad parfaitement idiot en plein milieu du chemin. Le mois d'après, il lui avait passé la bague au doigt et juste avant ils avaient décidé de rédiger leur propre contrat, aucune appartenance encore moins de cage dorée. Leur relation était destinée à rimer avec liberté et confiance.
80 ans, octobre 1422☾ ☾ ☾ Il n'est plus là. Ou plutôt presque plus là. Allongé sur le ventre dans le matelas moelleux de son lit gigantesque, Gilgalad inspire profondément en étirant à peine ses muscles endoloris par sa nuit passée dans les bas d'un autre. Ouvrant un oeil sur deux, il peut admirer discrètement la peau diaphane de son amant se vêtir d'habits qu'il trouve bien évidemment de trop lorsqu'il passe la porte de sa demeure. Un sourire vient à étirer ses lèvres pendant que sa main droite s'affale avec douceur sur le coussin juste à côté de lui, coussin sur lequel il vient fourrer le bout de son nez souhaitant s'imprégner de son odeur, de son parfum, de tout ce qui caractérise l'homme concentré dans sa tâche alors qu'en temps normal, ce devrait être l'elfe qui devrait se dépêcher de filer par la fenêtre à cause de la reine qui l'attend dans son palais somptueux. Le soleil n'est pas encore assez levé pour qu'il puisse affirmer qu'il est horriblement en retard, alors il prend son temps en se prélassant dans les draps opalins tout en zieutant avec attention Díl qui loin d'être stupide a remarqué que le pauvre endormi ne l'est pas tant que cela. Pinçant sa lèvre inférieure par pur geste de malice, c'est un soupir d'aise qui confirme clairement qu'il est sorti de sa léthargie plus que joyeuse. Il est étrange cet homme à l'allure filiforme, il est passionnant autant qu'il est mystérieux. Rencontré quelques semaines plus tôt, il a su se faire une place dans le panel des maîtresses de l'alchimiste qui d'un commun accord avec sa femme n'a jamais mis de barrières de son côté quant à la possibilité de tomber véritablement sous le charme de quelqu'un, celui de sa bien-aimée étant un tout autre genre, elle ne déroge pas non plus à cette règle qu'est la carte blanche.
« Essaierais-tu de me fuir encore une fois ? » Ayant attiré son attention, l'éphèbe se retourne presque surpris de le savoir éveillé, c'est à se demander s'il ne joue pas la comédie. En croisant ses iris profonds, Gilgalad se dit que finalement il y a peut-être une justice dans cette fatalité, là où en amour il n'a jamais régné il a fini par trouver quelque chose à quoi se rattacher alors que tout lui sied bien sans pour autant le combler de bonheur. Des fiançailles brisées surplombées de la perte d'un enfant, un mariage totalement caduc qui regroupe des intérêts en commun, non décidément rien ne lui réussissait et même son coeur n'a pas voulu lui faire ce plaisir de se calmer. Blessé à outrance, maltraité pour qu'il ne puisse plus battre, il continue malgré tout de faire cette mélodie si délicate qui papillonne jusqu'à ses oreilles, de surcroît grâce à un autre et même s'il ne peut lui passer la bague au doigt il se contente de sa présence, de sa culture, de sa façon de lire des poèmes alors qu'il se croit seul, assis sur le rebord de la fenêtre. Comment peut-on s'en aller loin par le biais d'un timbre de voix ? Comment peut-on se perdre dans un océan qui se traverse par le biais des prunelles ? Comment peut-on sentir se souffler quand l'autre passe sa main sur la sienne ? Il ne saurait y répondre, ce sont juste des sensations qui s'enchaînent telle une évidence et même si sa flamme n'a jamais été avouée - probablement pour la préserver d'une quelconque déception - il n'empêche que tout se veut clair dans son esprit embrumé.
« Je ne fuis pas, tout au contraire je reste et me délecte de ta vision. » Díl l'amant, Díl l'amour, Díl cette âme tant recherchée parmi les méandres de ce royaume. Gloussant à peine pour approuver ses paroles, il est un joueur des mots et en dispose à sa guise, bien plus que l'elfe de l'automne qui se réfère au côté scientifique de la chose plutôt qu'à la littérature. Se redressant par le biais de ses avant-bras il glisse son menton dans la paume de ses mains les traits amusés par cette situation qui, il l'espère, ne se terminera jamais.
« Que t'arrives-t-il ? Serais-tu tombé de la couche ? » Parce que l'aube à peine levée ne correspond pas avec l'esprit de l'homme qui est une bête de la nuit et s'assoupit le jour, des deux le plus âgé est le plus propice à se réveiller dès qu'un rayon du soleil passe la fenêtre alors que l'autre flemmarde dans les draps.
« Du tout, je dois seulement voir monsieur Jontille. » Qui en plus d'être un ami plutôt proche de Pepindpom s'avère être une connaissance de Díl. A leur rencontre, le pauvre était plus ou moins déboussolé dans les bois et après avoir fait une performance assez ridicule de ses pouvoirs de l'automne, après avoir rigolé avec lui, il lui a gentiment expliqué qu'il venait de la contrée froide de Yasen, qu'il était venue à la capitale pour rencontrer monsieur Jontille, elfe de l'été qui précieuse en son type se veut un véritable adorateur des soieries. Qu'est-ce qu'il lui veut ? Encore maintenant Gilgalad ne le sait toujours pas, ne souhaite peut-être pas le savoir finalement parce que ça ne le concerne pas, toutefois il ne peut s'empêcher de soupirer presque dépité qu'il lui file à nouveau entre les doigts. Ils se reverront le soir même, le lendemain sans aucun doute et ce jusqu'à ce qu'ils décident que ça doit se terminer - même si dans l'esprit de l'alchimiste ce n'est pas possible. Abordant une moue il fait pianoter délicatement ses ongles sur sa peau rosée.
« Je vois, que veut-il cette fois-ci ? » Curieux malgré tout, son interlocuteur finit d'enfiler ses vêtements jusqu'à ses chaussures en s'asseyant quelques mètres plus loin sur un fauteuil rembourré bleu roi. Un sourire sur sa trogne singulière vient déformer son expression juste avant sérieuse, il doit s'amuser de son aîné qui agit tel un enfant n'ayant pas eu ce qu'il voulait.
« Il a mandé à me voir, nous avons à discuter d'étoffes qu'il vient de recevoir, des prix à fixer ainsi que de ce que nous pourrions éventuellement en faire. Peut-être que Leroyal viendra à nos pieds si faisons sensation. » Que c'est ennuyeux, il passerait un bon temps considérable dans son atelier au château, la pièce est si grande que quand on hurle des échos se répercutent, de plus des tas de bibelots utiles se rejoignent en masse, il y a toujours de quoi faire. Pourquoi s'intéresser à du linge ? Il n'arrive pas à comprendre.
« Passionnant. » Qu'il soupire très peu motivé par cette perspective de journée bien remplie.
« Je croise les doigts pour vous dans ce cas, puisse votre magouille vous êtres favorable. » Et il retrouve le sourire le plus naturellement du monde. Son amant tout aussi attendri par cette situation termine sa préparation puis, époussetant un peu sa chemise opaline s'approche du plus nu des deux. Lui volant un baiser rapide tout en glissant une main dans la tignasse de Gilgalad il termine par frotter le bout de son nez contre le sien en ayant un rire discret de gorge, celui qui le qualifie si bien. Pris sur le fait, la victime profite seulement de cette accalmie qui lui fait oublier tout ce qui comptait jadis pour lui.
« Je ne vois pas de quoi tu parles, nous sommes honnêtes. » Ils le sont jusqu'à une certaine mesure et s'il existe pire dans un registre malhonnête, ils en tirent déjà une couche à force de faire monter puis descendre les coûts à leur guise, ils exercent une influence bien plus grande sur l'entreprise du textile. Dans tout ça, l'inventeur n'y comprend pas grand-chose. Lui adressant comme unique réponse une pichenette entre les deux yeux, son amant recule d'un petit pas par réflexe puis se tournant vers la fenêtre il affiche une dégaine carnassière.
« Et si tu veux mon avis, c'est toi qui as raté le chant du coq. » Quel beau sous-entendu à son retard. Gilgalad papillonne des cils en s'asseyant derechef sur la surface malléable du lit, il fronce les sourcils en se focalisant exclusivement sur la disposition du soleil.
« Gil'... » Commence l'autre en prenant un grand plaisir à se moquer de lui.
« Tu ferais mieux de regarder l'horloge sur le mur plutôt que les rayons de cet astre. » Il marque un point. C'est ce qu'il fait sans plus de politesses et c'est avec une certaine horreur qu'il découvre qu'il est affreusement loin d'être à l'heure, surtout que sa grande chef l'attend toujours avec un air de monstre assoiffé de sang. Un jour elle ne fera plus qu'une bouchée de lui, et ce n'est pas faute d'avoir essayé de le faire jeter hors du château, rien n'y a fait tout bonnement parce que Pepindpom a toujours fait ses preuves.
« NOM DE - RAH ! Tu m'arrondis les oreilles ! » Injuriant à peine à la limite du possible, c'est avec une rapidité déconcertante qu'il sort de son petit nid douillet se ruant vers ses vêtements l'esprit fusant déjà d'idées qui demandent à être travaillées. Il a toujours raison cet homme de trente ans ce qui est plutôt vexant face à un quinquagénaire elfique qui devrait lui, lui enseigner la vie. Comme quoi, rien n'est joué d'avance et surtout il va bientôt se faire sermonner pour avoir un retard d'une belle grosse heure. Et dans toute cette hâte, Gilgalad n'est plus qu'un baiser volé arraché par cet être aux iris rieurs.
80 ans, mi-janvier 1413☾ ☾ ☾ Des tas de choses disparaissent.
Des sourires, des rires, des paroles, des visages même parfois. Oh ça oui, tout est une question de bonne mémoire et surtout peu importe la taille, il faut un bon tour pour se débarrasser d'un animal gigantesque. Des tas de choses disparaissent. Des croquis, des chaussures, des vêtements, surtout des bijoux qui se font attraper par des voleurs avisés. Pourtant, Gilgalad n'aurait jamais pensé qu'eux puissent s'évaporer du jour au lendemain. Fouillant inlassablement dans ses placards, il n'arrive plus à remettre la main dessus. Ce projet, cette idée que marraine voulait depuis des mois, prenant la suite par le biais de son fils il y avait mis tout son coeur. Et pourtant, les plans n'étaient plus qu'un lointain souvenir. Le coeur balançant contre son torse, il n'a pas la force de hurler, de pester conter n'importe qui même si le rouge lui monte assez rapidement aux joues pendant qu'il met un boxon incroyable dans la chambre matrimoniale. Silence. Il a déjà passé au peigne fin le grand salon autant que la cuisine, rien à signaler si ce n'est un peu de poussière ou quelques saletés qui s'incrustent dans le marbre. Rien de bien mirobolant, et ce doit être cela qui rend Pepindpom fou d'un désespoir muet. Il n'y a aucun indice, pas même dans un feu qui aurait pu se produire quelques mètres plus loin dans les bois. Il se retrouve seul, sans son idée qui aurait pu le rendre plus important encore du côté de la famille royale. Il se laisse glisser contre le mur, la respiration sifflante, rien ne va plus ces derniers temps. Tout s'efface, tout se tâche d'une encre noire, maussade qui détruit tout sur son passage. Celui d'un amant qui ne revient plus, il garde ce foutu espoir pourtant qu'un jour il reviendra avec son rictus si particulier en coin de lèvres. Celui d'une monarchie qui se fait attaquer.
Celui d'une pierre décuplant les pouvoirs qui aurait pu voir le jour, de plans qu'il n'arrive plus à retrouver permettant sa construction. Si les liens se font presque naturellement dans son esprit, il ne veut pas y croire, il ne veut pas se glisser seul une épée dans le ventre pour s'achever. Ils doivent être quelque part. Pas vrai ? Son pied s'écrase sur une chaise se trouvent à quelques centimètres de lui, elle valdingue à peine alors qu'une lave en fusion prend possession de ses veines. Des tas de choses disparaissent.
Bientôt ce sera peut-être sa tête.