Nerissa et Hansel

les enfants ne voient pas la mort. Parce que leur vie dure une journée, du réveil au coucher.

Il aurait dû sortir avec l'équipage au complet lorsqu'ils avaient décidé de quitter la taverne où ils avaient jeté l'encre pour la nuit, il aurait dû être avec Lorcan, le soutenir un peu parce que ce bougre-là avait encore un peu trop bu, et que cela se ressentait autant dans ses paroles que dans sa manière de se mouvoir. Mais il ne l'avait pas fait, bien entendu. Pourquoi faire simple quand on pouvait faire compliquer ? Pourquoi éviter tout danger par peur de l'inconnu – ou ici, d'une inconnue ? Pourquoi détourner la tête devant la peine quand on pouvait rendre un service. Faire le bien autour de soi, autant qu'on le pouvait, à petite échelle pour certains, à plus grande pour Hansel qui n'en finissait jamais de vouloir aider autrui. Les pirates qui l'accompagnaient l'auraient traité de bon samaritain, gentiment ou non, plus avec le sourire qu'avec leurs poignards dissimulés dans des paroles railleuses, mais ils ne l'avaient pas fait, puisque le jeune matelot avait traîné un peu, avant de faire face à une pauvre femme qui semblait en mauvais état. Bien entendu, il n'avait pas réfléchi un seul instant et s'était approché d'elle pour voir ce qu'il n'y allait pas. Il s'était retrouvé devant une très belle créature qui avait besoin d'aide, et qui avait accepté la sienne. Ce fut le pourquoi du comment on put le remarquer arpenter les rues de Romeo Drive, avec à son bras une compagnie des plus douces, ce qui devait bien être la première fois. Tel un fervent serviteur, il était parti pour la ramener où elle le voulait – chez elle, en tout cas, car il était certain qu'il lui faudrait une bonne nuit de sommeil pour récupérer d'il ne savait quoi – et la soutenait avec une force qu'il avait travaillé inlassablement depuis que ses pieds avaient foulé le pont de l’Écorchée. Au moins avait-il les capacités de porter assistance à cette pauvre âme qui lui semblait un peu perdue, mais qui à mesure que ses propres pas marquaient sur le sol de la grande avenue, recommençait à parler correctement, d'une voix aussi douce que les embruns marins. Il fut pourtant bien heureux qu'elle montre un signe de vie quelconque, et rassuré il put hocher la tête suite à ses paroles dignes des femmes de haut rang. Hansel ignorait à qui il avait proposé son bras, mais il ne pouvait que continuer sur sa lancée, même lorsque ses indications se firent plus précises et surtout bien moins compréhensibles aux oreilles du mousse qui ne comprenait plus grand chose à la créature qu'il avait ramassé à même le sol. "Emmenez moi à Romeo Drive je vous prie mon jeune ami."  Oh c'était ce qu'il avait fait, songeant qu'elle devait loger ici-même, et qu'elle avait besoin de quelqu'un d'avisé pour pouvoir s'en retourner, et ainsi se remettre de ses activités nocturnes, cependant la donne changea rapidement quand elle se stoppa net devant une enseigne. Cette dernière arborait fièrement le nom de Farbucks Coffee, et Hansel eut une petite grimace en observant la mine réjouie de celle qui à présent avait une idée en tête. "Farbucks Coffee, quel nom délicieux. J’en ai l’eau à la bouche et je dois avouer que je suis en appétit. Cela vous dérangerait-il si nous y faisions une halte ?" Il se prit à se mordre les lèvres, puis hocha finalement la tête, car il était Hansel, et que cela signifiait être serviable, poli, et compréhensif. Peut-être avait-elle pris de l'herbe à chat, la faim venait généralement après sa consommation, ainsi il lui fallait remédier à cela. Ou peut-être pas. Le jeune homme fit un instant quelques suppositions, bien à l'abri au fond de son crâne, avant de l'aider à ouvrir la porte qu'elle avait prise d'assaut, porte qu'il referma sur eux, duo maladroit, oxymore à eux seuls. Ceci fait, il s'installa en face d'elle après s'être assuré qu'elle ne défaillirait pas une nouvelle fois. Si sa nouvelle carrière de matelot ne fonctionnait pas, il saurait quoi faire, puisqu'à n'en pas douter il trouverait rapidement un homme ou une femme riche à qui il manquait un assistant. Cette pensée le fit légèrement sourire, et il en oublia un court instant cette étrange rencontre qu'il avait fait, et ce que lui coûterait cette incartade. Heureusement que le navire ne repartait pas au petit matin, aux vues des étoiles qu'il pouvait facilement voir par la fenêtre de la grande pièce, il était déjà assez tard dans la soirée.  "Regardons donc cette carte. Hum... intéressant, tout à l’air délicieux et la décoration est fort charmante. Connaissez-vous cet endroit ?"  Est-ce qu'il connaissait cet endroit ? Bien entendu. Il l'avait côtoyé pendant des années, quand sa vie faisait encore partie de cette grande avenue où des dizaines de boutiques se pressaient les unes contre les autres, à hurler toute d'une même voix venez chez nous plutôt que chez les voisins. D'une certaine manière, il avait été l'un des concurrents de ce grand palace animé de toute part, qui faisait face à Miel et Épices. La petite échoppe l'avait toujours nargué, parce que c'était le propre d'Hansel et Gretel, de faire face aux grands. Et maintenant il était là, en son intérieur luxueux et fort charmant, en compagnie de cette femme dont il ignorait jusqu'au nom, ce qui ne lui posait finalement pas de problèmes, pour l'un comme pour l'autre. Il répondit d'ailleurs poliment à sa question, et eut même un petit sourire candide à son encontre, mais n'empoigna tout de même aucune des cartes qu'on avait posé sur la table bien décorée. "Le Farbucks Coffee doit être le lieu le plus fréquenté de la capitale... Par les bonnes gens du moins. Tout le monde connaît cet endroit, ma dame. Pas vous ?" Les clients s'éclipsaient tous, à l'heure qu'il était – l'heure où toute personne normalement constituée allait se coucher – et seuls deux énergumènes demeuraient. Hansel ne s'étonnait même plus d'en faire partie. Il ne devait pas avoir réellement la prestance ni les vêtements dignes de ce qu'il nommait les bonnes gens, mais c'était bien lui qui était ici, et il était le seul. "Enfin, vous semblez aller mieux que tout à l'heure, je ne peux qu'en être heureux. Je ne connais rien à la médecine, j'aurai été incapable de vous réanimer." ajouta-t-il d'un hochement de tête entendu, un sourire dans la voix après avoir croisé son regard sans pour autant faire l'erreur de s'y attarder. S'il savait qu'elle n'était pas une sorcière – il les reconnaissait, après tout – il ignorait qu'elle était en réalité une créature marine, et peut-être que s'il avait su cela, il aurait réfléchi à deux fois avant de lui porter secours. Mais bien entendu qu'il ne le savait pas. Et bien entendu qu'il ne s'en douterait pas le moins du monde.

Nerissa et Hansel

les enfants ne voient pas la mort. Parce que leur vie dure une journée, du réveil au coucher.

Il s'était mis à observer la personne qui lui faisait face, une jeune femme qui réfléchissait à ce qu'elle allait commander, comme toute personne normalement constituée. Pourtant, en l'observant bien, elle ne ressemblait aucunement au commun des mortels. Peut-être était-ce dans sa manière de se tenir, ou dans cette beauté indescriptible où elle se prélassait en sachant qu'elle devait être enviée par toutes les autres femmes, mais finalement Hansel n'avait pas été frappé par cela. Oh, il l'avait remarqué, là n'était pas la question, mais c'était autre chose, une impression, un pressentiment qui lui répétait que cette femme qu'il avait aidé n'était pas commune. D'ailleurs, il lui fallut peu de temps pour se ressaisir et se dire qu'en effet, ce n'était pas une certaine substance illicite ou encore de l'alcool qui l'avait mise dans un état aussi pitoyable. Et tout cela allait en faveur de l'éternelle curiosité de l'ancien confiseur, qui voulut tout de suite en savoir plus, tel l'enfant qu'il avait été, et qu'il était toujours - ce même enfant qui les avaient mené, lui et sa sœur, jusqu'à la maison de la sorcière. Cette mésaventure aurait du le rendre plus réfléchi, mais si maintenant il essayait de faire plus attention, Hansel se retrouvait encore très souvent dans de mauvaises postures. C'était le propre des Denougatine, après tout.
Relevant la tête vers cette femme - créature ? - qui était en centre de ses pensées, il regarda son visage se transformer en une moue penaude, et il sut derechef qu'elle n'était pas du tout habituée à la capitale et à ses lieux incontournables. Un petit sourire vint naître à la bordure des lèvres lorsqu'il l'entendit confirmer ses songes. "J'ai bien plus l'habitude de servir les autres que de me faire servir, mais j'imagine que oui, parfois, cela dépend d'où l'on est né." Les rois avaient l'habitude de se faire apporter leurs plats, mais mettez les devant des fourneaux et ils étaient incapables de savoir comment ne serait-ce que se servir un verre de vin. C'était le propre de leur milieu. Quant à Hansel, il était de ceux qui ne s'étaient jamais fait servir de bons mets sur un plateau d'argent, à la naissance du moins. Cela avait un peu évolué avec le temps, mais alors les Denougatine avait commencé à vouloir être aux services d'autres, ainsi leur rang avait évolué pour être celui des commerçants. Un instant il se perdit dans ses souvenirs, jusqu'à être ramené à la réalité par sa compagne, qui semblait avoir encore moins la notion du temps que lui. "Nom d’un poulpe mais quelle heure est-il ?" L'expression le fit hausser les sourcils, intrigué. Peu de personnes s'exprimaient de cette manière. De plus en plus curieux, il lui répondit tout de même galamment et calmement qu'il devait être dans les vingt-deux heures, espérant au fond de lui parler dans une langue qu'elle puisse comprendre. Puis elle reprit, abreuvant la curiosité d'Hansel, qui écoutait attentivement. "C’est très aimable de votre part de vous inquiéter pour ma santé. J’ai eu… comment dire ? Un échange verbal très intense avec un homme et cela m’a complètement épuisé. De plus je n’avais rien avalé depuis le déjeuner et je pense que j’ai surestimé mes forces. J’avais juste besoin de reprendre un peu d’énergie voilà tout et ce n’était pas dans ce bar que j’aurais pu, leurs breuvages vous tournent la tête. C’est ce que certains recherchent me direz-vous mais ce n’est pas mon cas. J’aime avoir les idées claires." Au moins était-il certain d'un fait, à présent. Maintenant, que devait-il comprendre par échange verbal très intense ? Cela avait le mérite de le perdre un peu plus, mais il se fit couper dans ses élans par une serveuse qui venait s'occuper de sa commande, mais surtout de sa bourse. La maladresse de la mal en point l'amusa tendrement, mais son sourire s'effaça lorsqu'elle s'adressa à lui. Il referma brusquement la bouche pour ne pas paraître idiot, et haussa les épaules. Elle lui demandait si sa non connaissance du chocolat lui paraissait comme étrange. "Et vous, vous semblez venir de très loin. J'ignorais qu'à Saay, ou à Yasen on ne connaissait pas le chocolat. Pourtant c'est vrai, j'ai fait quelques escales là-bas." C'était un marin maintenant, après tout. Doublé d'un féru de savoir. Il avait ici joué la carte de la discrétion, mais au fond il avait réfléchi : il était à peu près sûr que cette créature qu'il ne savait même pas comment nommer n'était pas humaine. Elle n'était pas une sorcière non plus, il l'aurait vu, elle ne possédait pas de grandes oreilles qui auraient pu l'apparenter à la race des elfes. Aux vues de son apparence, il penchait pour la sirène, et si secrètement il aurait voulu que cela soit le cas car ces créatures le fascinaient, son métier voulait qu'il en ait peur. Et qu'il ne fasse pas ami ami avec. Mais après tout, le danger, il connaissait.
Il demeura ainsi silencieux jusqu'à ce que la serveuse revienne et que la sauvée lui propose de l'inviter. Le jeune homme eut le temps d'hésiter, mais finalement accepta et commande un café, rajoutant pour se justifier, avec une pointe de malice dans le regard. "Je n'aime pas le chocolate." La vérité était que depuis l'épisode avec la sorcière, où il avait du rester dans une cage en se gavant de sucreries, tous mets comportant du sucre l’écœurait, lui donnait la nausée. Même après tout ce temps, il acceptait encore mal de goûter à ces douceurs, et son travail dans la confiserie n'avait rien arrangé à son cas déjà désastreux - quand vous passez vos journées à vendre du poisson frais par tonnes, une dorade n'est pas ce que vous voulez déguster le soir en rentrant chez vous. Cela avait été pareil pour Hansel.
La serveuse revint rapidement avec sa commande, et le marin la remercia, ainsi que son hôte. C'était si étrange, de revenir à Romeo Drive après tout ce temps. De se confronter à nouveau aux passants, aux autres commerçants, et à cette vie urbaine et civilisée. Pourtant il ne se sentait pas mal à l'aise, peut-être parce qu'il avait passé par tellement de milieu dans sa vie qu'il était un peu chez lui partout, mais surtout nul part. Buvant une gorgée de son breuvage, qui lui brûla agréablement la gorge, bien mieux que de l'alcool, il releva les yeux, et ce fut des paroles qui le rendirent nerveux. Il ne voulait pas parler de lui, après tout. Pourquoi fallait-il qu'il parle de lui ? Il l'observa un instant, sourcils haussés, et se dit après coup qu'elle devait sûrement être aussi curieuse que lui - ou peut-être était-ce autre chose. Pourtant, il ne voulait pas être sur le qui-vive. Pas maintenant. Il était à Fort fort lointain, après tout, pas en mer. "Il n'y a pas grand chose à dire sur moi, vous savez. Je m'appelle Hansel Denougatine et je suis marin. Depuis quelques mois seulement, comme vous pouvez vous en douter." Il n'avait pas la carrure d'un marin, cela se voyait. Ni même les manières. Il n'avait pas non plus les manies du milieu paysan où ils étaient nés, lui et son aînée. En fait, Hansel devait être vu comme une sorte d'hybride par les autres. Ou un héros pour ceux qui croyaient encore à ces choses-là, ce qui le faisait douloureusement grimacé. Ces gens-là ignoraient tout. "Pour le reste, c'est tout aussi banal. Excusez-moi si vous aviez espéré être secourue par un chevalier." ajouta-t-il avec un petit rire en se concentrant sur sa tasse qu'il tenait des deux mains, posées sur la table.