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FORT FORT LOINTAIN

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⊱ your silence is the loudest word EmptySam 7 Fév - 19:51




Mathilde & Pierre

Il y a des songes qui nous marquent. Des songes qu’on ne peut oublier. Ils sont comme l’empreinte d’un nuage, invisible si l’on est trop près, aussi distinct que possible seulement lorsqu’il est inatteignable. L’âme s’en nourrit jusqu’à déborder d’illusions. De belles illusions comme on en raffole. De l’imagination pure, stimulée par ce qui est immatériel, ce qui n’a aucun nom. Rêver les yeux grand ouverts. Est-ce qui nous permet de tenir, à s’évader plus loin que la pensée, ou bien est-ce ce qui nous perd, au parallèle d’un monde sans vérité. Etait-ce seulement la réalité ? Si j’ai peu voyagé, je peux dire que je suis allé aussi profondément que possible dans cette forêt. Feuilledorme. Une terre d’énigmes où je me suis risqué à fouler le pied. Une terre qui a bien failli me l’enlever. Je n’avais jamais vu Kirill ainsi, si proche de la lune, si proche de la mort. Tremblant comme une feuille morte d’automne sur sa branche. Suant comme la sève d’un tronc d’arbre en fin de vie. Les crocs grinçants, claquants et suppliants. J’aurais pu arrêter, faire cesser la douleur. Il était la victime de blessures trop profondes, souffrance agonisante. Il avait tout fait pour me protéger, allant jusqu’à se sacrifier. Je le croyais perdu. Le seul être pour qui j’aurais tué. Le seul être que j’aimais. Quel conte serais-je devenu sans le loup ? Je n’ai pas eu le courage d’apaiser ses maux, je n’ai pas eu la force de faire cesser son souffle rauque et chaud. J’ai pleuré. Mes larmes glissant sur son pelage si froid. C’est là, que je la vis. Elwenn.

Est-ce bien toi, là face à moi ? La nymphe de ces bois mystérieux. La sylphide qui est venue à moi, toute de blanc vêtue. Mes pupilles embuées avaient du mal à discerner tes traits. Pourtant je mettrais ma main à couper en jurant que c’est toi, ici. C’est toi que je vois. Je n’aurais pas oublié cette aura de magie. Divine parmi les arbres, céleste tapant la terre. Je n’aurais pas oublié cette peau havane, ces rétines ébènes presque trop sombres pour refléter un reflet. Je n’aurais pas oublié ces cheveux châtain retombant sur tes épaules frêles. Cette silhouette je la connais. Cette silhouette m’est déjà apparue alors que je priais le ciel pour le loup. Comme un miracle, tu es venue. Sorcière, nymphe, druidesse ou déesse. Qu’importe le nom qui t’a été donné. Tu l’as sauvé et pour ça je n’ai jamais oublié. Tu étais peut-être un rêve, après tout. C’est ce dont je m’étais convaincu tout ce temps. Une illusion. Un enchantement. Mais cette femme, elle, est bien là. Qui qu’elle soit, ce n’est pas le fruit du hasard. Mes pas me mènent plus loin encore, ou plus près. Suivi de Kirill, j’avance dans l’ombre de la ruelle en écoutant les ragots incessants, les cris de victoire et les plaintes dérisoires. J’entends les sabots frapper contre le sol, les hennissements faisant écho aux bouteilles de rhum qui s’entrechoquent dans ce sale bourbier. J’entends les marchands faire éloge de leurs produits pas toujours très légaux, les femmes séduire les hommes les moins honnêtes du royaume. Je ne suis pas à ma place et pourtant, j’avance vers cette silhouette qui me terrifie, à la fois source de curiosité et de nervosité. J’étais venu pour fournir l’apothicaire d’herbes médicinales, je repartirai peut-être avec des réponses. « C’est vous. » Murmure hésitant battant l’air. Je lève un bras pour faire passer ma main sous mes boucles, comme à chaque fois que quelque chose, ou quelqu’un, m’intimide. Mes paupières se plissent légèrement, comme pour retracer visuellement la scène qui me lie à elle. Songe ou réalité. Quelle est donc la frontière qui les sépare, finalement ? « Pardonnez-moi, Madame, je crois que nous nous connaissons. J’étais perdu, dans cette forêt, vous m’avez trouvé et épargné mon loup d’une mort atroce. Je pensais -je pensais que vous étiez un rêve. Je n’arrive pas à y croire... mais c'est vous. » Mes doigts se resserrent sur ma ceinture, tandis que je la dévisage le plus respectueusement possible. Je les sens trembler, sous le poids de la surprise et du tiraillement de mes sentiments. Je m’efforce de calmer ma respiration, de détendre ma posture. Comme lorsque j’approche un animal sauvage le plus naturellement pour ne pas l’effrayer. Pour ne pas faire face à l’évasion, fuite de l’indomptable.
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⊱ your silence is the loudest word EmptyMar 17 Fév - 20:44




Mathilde & Pierre
He was riding down in the forest...

La griffe marine. Mathilde détestait cet endroit autant qu’elle s’y sentait à sa place. L’odeur de poiscaille d’abord, de misère ensuite ; la ferraille des épées et des poignards qui s’entrechoquent alors qu’on s’échange des regards méfiants et qu’on se glisse des herbes illégales sous le manteau. Ce n’était pas un endroit accueillant, ce n’était même pas un endroit sûr. Et pourtant, c’était le seul endroit où elle se sentait, en un sens… chez elle. Un endroit que depuis un an et demi de vie à Fort Fort Lointain, elle fréquentait presque quotidiennement, discrètement, petite souris se glissant au milieu des loups trop occupés à se déchirer entre eux pour la remarquer. C’était ce qui faisait sa force dans ce monde de brutes dans lequel elle n’aurait pas duré deux jours sans sa capacité étonnante à disparaître aux yeux du monde. C’était sur ça que Sinbad comptait, et c’était ce qu’elle exploitait le mieux. On la connaissait sans la connaître, cette petite trafiquante silencieuse qui se glissait partout sans un mot, toujours ponctuelle, toujours exacte, toujours loyale dans ses marchandages malgré l’illégalité complète de la chose. On lui faisait confiance dans ce bourbier. Elle ne s’impliquait ni trop, ni pas assez, s’accommodant de la situation. Ce n’est pas vraiment comme si elle avait le choix après tout. C’était mieux que vivre dans la rue, à la merci du premier brigand qui passait par là. Au moins, dans ce marché noir, elle avait appris à échapper aux ennuis et même à se défendre, s’il le fallait. C’était un refuge de fortune, un refuge pas forcément plus sûr que celui du dessus. Mais c’était un refuge qu’elle maîtrisait et dans lequel elle savait pouvoir survivre. Même si ça voulait dire être une criminelle, même si ça voulait dire éviter la garde dès qu’elle les croisait et se cacher à la moindre occasion pour éviter de se faire prendre.

Vêtue de ses frusques sombres pour passer inaperçue, Mathilde avait remonté ses cheveux sous une casquette pour encore mieux se dissimuler dans le paysage. Caché sous sa veste, un paquet d’herbe à chat qu’elle allait revendre à un trafiquant du coin pour le compte de l’Ecorchée. Elle venait d’arriver dans l’allée qui précédait celle qu’elle visait, quand elle dut ralentir le pas à cause d’un attroupement qui riait aux plaisanteries d’un amuseur qui lisait à voix haute des pamphlets contre le nouveau roi, Charmant. Mathilde soupira, retira sa casquette, laissant tomber sa cascade de cheveux bruns sur ses épaules et se passant une mains sur la nuque pour se débarrasser de la sueur moite qui l’étouffait. Commençant légèrement à s’impatienter, elle regarda autour d’elle… avant de croiser le regard d’un jeune homme qui la dévisageait fixement. Mathilde se figea. Baissant les yeux, elle s’aperçut qu’il était accompagné… d’un loup ? Cette fois, Mathilde fit quelques pas en arrière, clairement sur la défensive. Pourquoi personne ne bougeait ? Lentement, elle contourna quelques passants, entrevoyait peut-être une issue, dans l’homme lui adressa la parole.

« C’est vous. »

C’était à peine un murmure, mais Mathilde l’entendit aussi clairement que s’il avait été tout à côté de son oreille. Aussitôt elle baissa la garde, involontairement. C’est vous. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Elle le dévisagea sans un mot, perplexe. Elle était censée le connaître, ce garçon ? Il s’avança lentement vers elle, et par réflexe, elle recula entre un peu pour buter contre un étal. Sa respiration s’accéléra, angoissée. Coincée.

« Pardonnez-moi, Madame, je crois que nous nous connaissons. » Elle releva les yeux vers lui, confuse. Tout ce respect dans sa voix, ce n’était pas le ton de quelqu’un qui venait lui chercher des ennuis. Mais alors quoi ? « J’étais perdu, dans cette forêt, vous m’avez trouvé et épargné mon loup d’une mort atroce. Je pensais -je pensais que vous étiez un rêve. Je n’arrive pas à y croire... mais c'est vous. »

Mathilde comprenait mieux. Enfin, elle pensait mieux comprendre. Fermant brièvement les yeux, elle retint un soupir, avant de rouvrir les paupières et de dévisager son interlocuteur. Elle avait rarement croisé un jeune homme à l’air aussi inoffensif que lui. C’est ça : il ne dégageait pas la moindre animosité, une rareté dans ce trou à brigands qui dégainaient à tour de bras. Mathilde se détendit un peu, moins nerveuse. Elle ignorait ce que c’était exactement que cette histoire de loup, mais elle devinait que c’était celui qui cheminait à ses côtés – un loup apprivoisé, elle n’avait encore jamais vu ça… pas de mémoire de deux ans, en tout cas. L’avait-elle déjà vu avant, ce garçon qui n’allait pas dans ce décor, ce garçon qui avait l’air encore plus déplacé qu’elle dans cet endroit pourri ? Contrairement à Mulan et Lancelot, elle aurait été incapable de le dire. Lentement, elle avança vers lui, pas à pas, sans le quitter des yeux, ses yeux sombres cherchant dans ce visage brouillé par une barbe de trois jours des réponses à des questions qu’elle ignorait. Elle n’était plus qu’à quelques pas de lui quand elle sursauta : la tête poilue de l’animal était venue se nicher dans sa main, comme pour l’inviter à la confiance. Mathilde était médusée. Même le loup se souvenait d’elle ? L’incertitude peinte sur le visage, elle leva à nouveau les yeux pour croiser le regard du jeune homme. Un regard empreint de crainte, de reconnaissance, de gentillesse, d’espoir et de doute. Un regard qui, l’espace d’un instant, fit vaciller ses certitudes à elle. Mais elle se reprit bien rapidement.

« Je suis désolée, je ne me souviens pas de notre rencontre. » La voix de Mathilde était douce et sans agressivité, mais la réponse était définitive. Autant ne pas pousser ce garçon à trop attendre d’elle. « Mais ça ne veut pas dire que c’était… un rêve. Autant que vous le sachiez tout de suite, si vous m’avez connue avant, je ne suis plus la même personne qu’à cette époque. Il s’est passé beaucoup de choses depuis … » ajouta-t-elle avant que son attention ne soit attirée par des applaudissements. Elle tourna la tête, constata que l’amuseur avait fini sa lecture et que la foule commençait à se disperser. Mathilde vissa à nouveau sa casquette sur sa tête et prit le bras de l’inconnu pour l’entraîner à sa suite. Mieux valait marcher que rester plantés là et attirer l’attention sur eux. Elle s’assura que personne ne les suivait, puis glissa à son compagnon :

« Qui êtes-vous ? Vous n’avez pas l’air d’un brigand, ni même d’un rebelle. Qu’est-ce qui vous a amené dans ce marché ? » On n’était jamais trop prudent, après tout. Même si elle doutait qu’il ait des intentions malveillantes, elle n’était pas en position d’accorder sa confiance à n’importe qui, encore moins dans cet endroit…
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⊱ your silence is the loudest word EmptySam 21 Fév - 15:30




Mathilde & Pierre

Si certains instants pouvaient rester des songes dérisoires, alors le monde tournerait rond. Mais dans un recueil entier de mille et un contes de fées, où la magie s’éveille à chaque souffle, au moindre pas, rien n’est insignifiant. Tout est à prendre en compte et rien ne doit rester en retrait. Car le plus infime des instant peut devenir le plus grand, et changer le cours d’une existence. Que ce soit en bien ou en mal, rien n’est moins sûr mais tout arrive pour une raison. Il est une certitude, qui dirige ce monde et ces vies, qui nous rendra toujours plus confus face au pouvoir, c’est que rien n’est tout blanc ou tout noir. Et ces mots ont d’autant plus de sens et d’ampleur en ces temps obscurs qui dirigent nos coeurs et leurs ardeurs motivées par la fougue, ou le désespoir. Le temps semble être en suspend, alors que je suis face à celle qui peut-être a changé le cours de ma vie, a permis que l’histoire se perpétue. Je suis face à ce rêve qui semble tout aussi loin et perdu que je l’étais quand je l’ai vu. Plus j’avance, plus elle recule, comme un animal effrayé par un prédateur inconnu. Son air ébahi me renvoi le reflet d’une âme troublée. J’aimerais tendre sa main pour la remercier, lui donner toute ma reconnaissance et même ériger un temple à son honneur, à ce qu’elle a fait. Mais je murmure mes mots, pèse ma voix tout en restant en retrait, la peur fragile.

« Je suis désolée, je ne me souviens pas de notre rencontre. » Ferme et sans concessions, mais en restant douce et patiente. Le museau du loup s’est réfugié dans la paume de la demoiselle, et je n’ai pas besoin de plus pour confirmer mes soupçons. C’est elle, c’est bien elle. Mais a-t-elle vraiment besoin de s’en souvenir ? Ou bien son ignorance est le signe que je ne devrais pas m’immiscer plus. Ce serait injuste, que sa mémoire ne soit plus digne de ce qu’elle représente. Mais ce serait tout autant délicat, de la mettre plus longtemps dans l’embarras. « Mais ça ne veut pas dire que c’était… un rêve. Autant que vous le sachiez tout de suite, si vous m’avez connue avant, je ne suis plus la même personne qu’à cette époque. Il s’est passé beaucoup de choses depuis… » Je veux bien croire que les vestiges du temps font des dégâts, ou des miracles. Mais de là à oublier totalement qui on est, il y a une lisière. Pour le moins, je suis tout aussi confus que plus tôt, si ce n’est plus. Mais lequel des deux est le plus fou ? Mes doigts triturent machinalement le bord de ma ceinture de cuir abîmée, tandis que mon regard se porte à la fois sur Kirill, et sur elle. Les applaudissements de la foule me sortent enfin de mes rêveries et je regarde la population se dissoudre quand mon bras est attrapé soudainement. « Qui êtes-vous ? Vous n’avez pas l’air d’un brigand, ni même d’un rebelle. Qu’est-ce qui vous a amené dans ce marché ? » Elle m’entraîne plus profondément dans la rue qui hurle, et je sens mes joues s’empourprer à ce geste auquel je ne suis pas habitué. Pauvre fou qui passe toujours pour un enfant. Mes yeux s’égarent un instant, décortiquant les scènes qui se passent sous nos yeux et qui dévoilent sans honte toute la misère de ce royaume. Si les plus fortunés voyaient seulement ce qui se passait sous leurs yeux. Les pauvres qui perdent toute dignité, se voient dans l’obligation de vendre tous leurs biens, parfois même leurs corps pour survivre. Ceux qui achètent et trafiquent pour un sou rouillé. Une droguerie, un marché plus noir que les voiles d’un navire de mutinerie. Les pavés souillés, les murs salis. Les haillons déchirés, maculés de regrets. La druidesse que j’ai connu n’aurait jamais foulé d’un pied blanc cet endroit si enfoui dans la détresse. Peut-être en effet, qu’elle n’est plus la personne qu’elle était. « Non, je ne suis personne ici. Je m’appelle Pierre et mon loup se nomme Kirill. Je viens souvent dans ce quartier, je suis herboriste et je vends tout ce qui peut être utile à l’apothicaire. » Je ne suis pas étonné qu’elle ne m’ait remarqué plus tôt. En réalité si je ne l’avais pas approché, elle ne m’aurait jamais vu. Les gens de ces rues sont trop occupés par eux-mêmes pour nous remarquer, et quand bien même ça arrive, ils gardent leurs plus grandes distances par effroi pour la bête aux crocs acérés. Certains me reconnaissent sans me reconnaitre, certains s’arrêtent aux préjugés, et je préfère que le monde tourne ainsi. Quand on est un solitaire, un ermite, la meute nous fait plus peur qu’autre chose. L’inconnu aussi. « Si vous n’êtes plus la personne que j’ai connu, ni même le rêve dont j’étais persuadé, qui êtes-vous ? » Je m’arrête un instant pour sortir quelques pièces de mon veston et les tendre à une commerçante. Elle les attrape dans un sourire, dévoilant peu de dents, plus jaunes que les blés et je me sers d’un morceau de boeuf toujours saignant, pour le jeter dans la gueule du loup. Celui-ci s’en délecte alors même que la chair frôle la terre. Nous nous sommes éloignés de l’apothicaire, mais il ne fermera pas boutique tout de suite, de toute manière. Et maintenant que je suis avec celle qui me semblait inaccessible, je ne vais pas risquer de la perdre aussi vite qu’elle s’était évaporée jadis. « Sans vouloir vous offenser, cet endroit me parait impur à ce que vous êtes, ou étiez quoiqu’il en soit. Dans mes souvenirs, vous guidiez les miséreux vers la lumière. Je sais bien que le royaume connait des temps difficiles, mais qu’est-ce qui vous a changé, qu'est-ce qui vous a amenée... ici ? »
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⊱ your silence is the loudest word EmptyMer 25 Fév - 20:18




Mathilde & Pierre
He was riding down in the forest...

Le brouhaha du marché avait beau envahir l’espace et leurs oreilles, c’était comme si Mathilde et son vis-à-vis inattendu s’étaient, momentanément, retrouvés hors du temps, figés dans une bulle dont eux seuls avaient conscience alors que les autres leur passaient au travers, fantômes tristes perdus dans un monde qui n’était pas le leur. Egarés, éphémères, deux êtres qui n’avaient tellement rien en commun avec cet endroit que leur présence pouvait y paraître risible. Mais la vie était faite de sorte que parfois, les pièces du puzzle ne s’agençaient pas comme il le fallait, et tout se mélangeait dans un chaos inexplicable auquel il fallait s’accommoder. Leur seule consolation, finalement, c’était de ne pas être seul dans cette situation. Elle avait cru l’être. L’apparition de ce garçon, escorté de son loup aux yeux ambrés, était la preuve du contraire. Elle n’aurait pas pu imaginer quelqu’un qui paraîtra plus déplacé dans cet endroit de misère et de tricherie. Le hasard, avec toutes ses astuces et ses sales coups, faisait parfois bien les choses. Et maintenant qu’elle l’avait trouvé, elle ne comptait pas le lâcher de sitôt. Non seulement parce qu’il pouvait peut-être lui apprendre quelque chose d’utile, mais aussi parce qu’elle ne voulait pas courir le risque que quelqu’un ne les voit trop ensemble. On ne savait jamais de qui pouvait venir le premier coup de poignard, à la Griffe Marine. Le bras sous celui du jeune homme, ils faisaient front commun, le loup cheminant à leurs côtés et tenant les importuns à l’écart.

« Non, je ne suis personne ici. Je m’appelle Pierre et mon loup se nomme Kirill. Je viens souvent dans ce quartier, je suis herboriste et je vends tout ce qui peut être utile à l’apothicaire. »

Pierre l’herboriste, et Kirill le loup. Des noms qui ne lui firent avoir aucune vision, aucun de ces éclats de souvenirs qu’elle avait pu avoir face à Mulan ou Lancelot. Pourtant il paraissait évident qu’ils s’étaient connus. Elle en déduit qu’il ne devait avoir qu’une importance mineure dans son passé – mais la réciproque ne semblait pas vraie au vu de l’émotion qui semblait l’avoir traversé en l’apercevant, selon ses propres dires. Même Kirill avait manifesté, à sa façon, une certaine familiarité avec elle. Elle avait honte de ne pas se souvenir, de ne même pas pouvoir lui offrir un peu de consolation en lui disant qu’elle se souvenait vaguement. Mais elle ne voulait pas non plus lui mentir. Le regard de la fleuriste s’assombrit légèrement ? Une nouvelle déception. Une de plus, une de moins, elle n’était plus à ça près.

« Si vous n’êtes plus la personne que j’ai connu, ni même le rêve dont j’étais persuadé, qui êtes-vous ? » Alors ça, j’aimerais bien le savoir. Songea-t-elle non sans amertume. Mais elle se contint, et à la place répondit : « Mathilde. Fleuriste, et commerçante au marché noir pour le compte d’un ami. » Elle esquissa un sourire sans joie. « Pas vraiment celle dont vous vous souvenez, je me trompe ? »

A la tête qu’il faisait, non, elle ne se trompait pas. La manière dont il parlait d’elle, la façon dont il s’adressait à elle, tout ça paraissait tellement en décalage avec celle qu’elle était devenue en deux ans, une insignifiante fleuriste ou une criminelle selon le point de vue, une ombre dans les allées de la Griffe Marine parmi tant d’autres. Pauvre Pierre. Quelle déception ça devait être pour lui, s’il avait gardé d’elle un souvenir si élogieux. Mais lui mentir, prétendre être encore celle qu’elle était, n’aurait pas eu plus de sens que cette abracadabrante histoire. Elle ne se souvenait même pas de son nom. A quoi bon faire semblant ?

« Sans vouloir vous offenser, cet endroit me parait impur à ce que vous êtes, ou étiez quoiqu’il en soit. Dans mes souvenirs, vous guidiez les miséreux vers la lumière. Je sais bien que le royaume connait des temps difficiles, mais qu’est-ce qui vous a changé, qu'est-ce qui vous a amenée... ici ? »

Impur à ce qu’elle était ? Guider les miséreux vers la lumière ? Mathilde réprima tant bien que mal un rire sarcastique. Mulan et Lancelot lui avaient déjà fait comprendre qu’elle avait été une sorte de guide, à Camelot, mais les termes qu’employait Pierre lui paraissaient si élogieux, si… surréalistes. Qu’elle ait pu être garde-forestière, passe encore. Mais il lui donnait l’impression confuse et bizarre qu’elle avait été une sorte de nymphe ou de déesse, qu’on révère et qui daigne aider les voyageurs égarés. Quelle idée ridicule. Une déesse ne se serait jamais retrouvée dans une situation comme la sienne. Ou alors, c’est qu’elle était indigne de l’être, et indigne de la déférence de Pierre à son égard.

« Vraisemblablement, un mauvais coup du sort. » répondit-elle, incapable de donner des détails qu’elle n’avait pas. Sans compter qu’elle était fatiguée d’essayer, encore et encore, de raconter, justifier, à grands renforts de souvenirs et d’impressions qu’elle avait perdus. Elle devrait se promener avec une pancarte ‘amnésique’ accrochée autour du coup, ça lui éviterait bien des discussions laborieuses et désagréables. Ou ça les ferait doubler, elle n’en savait trop rien, et elle n’avait que modérément envie de tenter le diable. « Quant à la lumière, si je l’ai aperçue un jour, on dirait bien que je l’ai perdue de vue pour de bon. Si vous avez à nouveau besoin d’une guide, je crois qu’il va falloir que vous alliez chercher ailleurs. » C’est moi qui suis perdue à présent. Et personne ne semblait vraiment décidé à lui montrer le chemin, à elle. Perdue dans un labyrinthe dont elle ne comprenait pas les rouages, ou dans une nuit sans lune, elle errait, sans histoire et sans mémoire. S’arrêtant au bord de l’allée pendant que Kirill finissait de dévorer sa viande crue, Mathilde releva les yeux vers Pierre, sondant son visage sans méchanceté, ses yeux remplis de cette gentillesse et de cette innocence qu’elle devinait sans les voir. Elle sentit une certaine tristesse l’envahir. Quoi qu’elle ait été dans le passé, Pierre en était le gardien ; le gardien d’un souvenir qu’elle ne retrouverait jamais, le gardien d’une Mathilde qui ne reviendrait probablement pas et qui ne subsisterait que dans l’esprit de cet herboriste, ou dans son imagination. Dépositaire malgré d’un testament dont elle ignorait les termes.

« Vous ne pouvez pas rester près moi. » dit-elle tout d’un coup, l’évidence lui sautant enfin aux yeux. Elle avait beau avoir tourné et retourné la situation dans tous les sens dans sa tête pendant des heures ces deux dernières années, c’était la première fois qu’elle ressentait aussi fortement le risque, le danger que, potentiellement, elle représentait. « J’ignore ce qui m’est arrivé, mais on ne peut pas exclure que je me sois fait des ennemis qui ont causé… ce qui m’a amenée ici. » Elle frissonna légèrement, pensant à Sinbad, à Hansel, à Lancelot. Ses amis, qui eux aussi, couraient un risque peut-être. Mais qui avaient sûrement plus en eux les ressources pour y faire face. Elle serra entre ses doigts l’étoffe du vêtement de Pierre et ajouta, fermement : « Je refuse de courir ce risque, Pierre. Vous êtes un homme bon, je le devine, mais si il y avait vraiment un danger et qu’il vous arrivait quelque chose… » Elle ne se le pardonnerait pas, et une petite partie d’elle, la bonne, certainement, mourrait, elle aussi. « C’est sûrement la seule, et la meilleure chose que je puisse faire pour vous, à défaut de vous guider à nouveau. »

Elle se mordit la lèvre en baissant les yeux, impuissante. Oh, elle aurait aimé, être capable d'être à la hauteur des souvenirs de Pierre. Mais elle ne le pouvait pas. Lui épargner des maux de têtes et des ennuis était encore le meilleur service qu'elle puisse lui rendre, quitte à renoncer à la personne qui lui faisait espérer le mieux qu'un jour, elle avait été quelqu'un.
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