Assit à une table dans une auberge de Ragtown, j'attendais. Pourquoi ici, pourquoi en cette soirée ? C'était une question intéressante. La personne que je devais rencontrer me fournissait en produits pour des potions personnelles – car la fabrique du bonheur avait techniquement tout ce dont nous, les ingénieurs, avions besoin –, et je n'avais pas forcément envie que cela s'ébruite. Les ennuis, ce n'était pas ma tasse de thé, autant éviter les cancans de mauvais goût. L'endroit le plus sûr, paradoxalement, pour ce genre de transaction était ce quartier malfamé. L'on ne m'avait jamais jugé intrus les rares fois où j'étais venu ici, beaucoup de trafics se faisaient discrètement. Bien sûr, en l'occurrence, il ne s'agissait pas d'illégalité, mais c'était plus confortable pour elle, comme pour moi. Elle ? Une « herboriste », si l'on puis dire, Clémence Vertefeuille. Elle avait énormément de plantes, certaines communes, d'autres rares, et savait où s'en procurer. De la bonne qualité, s'il vous plaît. Je n'appréciai pas la compagnie des femmes, c'était un fait qui n'était pas nouveau, mais les transactions et discussions avec miss Vertefeuille ne m'avaient jamais dérangé, contrairement à ces houleuses entrevues avec Miss Toutepetite, entre autre.

J'avais commandé un verre, en attendant l'arrivée de miss Vertefeuille. Cette dernière ne se fit pas attendre très longtemps ; quelques minutes plus tard, elle venait s'asseoir en face de moi, retirant son capuchon au passage pour que nous puissions parler en face à face. Je tournai la tête vers elle et l'ombre d'un sourire se dessina sur les traits de mon visage crispé, comme à son habitude. La froideur et l'austérité semblait ne jamais me quitter, où que j'aille, et quoique je fasse. Cela ne me gênait pas, bien que cela puisse souvent gêner les autres. Ce n'était pas important, je n'en avais que faire, à la vérité. Je tendis la main en direction de la jeune femme, geste courtois en de telles circonstances.

« Bonsoir, miss Vertefeuille. C'est un plaisir, comme toujours. » Que ces paroles soient vraies ou non, là n'était pas la question. J'insistai pour lui offrir quelque chose à boire – n'importe quoi – afin que nous puissions commencer à discuter. Je joignis mes mains entre elles au devant de moi sur la table et la regardai un instant, silencieux, avant de demander : « Avez-vous tout ce que je vous avais demandé ? » il fallait bien commencer quelque part. Je lui avais demandé de m'apporter des orties noires, de l'armoise et des racines d'asphodèle en poudre, entre autre... Il y avait bien deux ou trois choses de plus que je n'avais plus en mémoire mais noté dans mon registre, dans mon laboratoire. « Vous n'avez pas eu trop de peine, au moins ? » interrogeai-je du bout des lèvres. Ce n'était qu'une formalité, je ne m'en souciai pas vraiment, et mon ton détaché le montrait peut-être. Qu'importe.