Vous savez, ce qu’on est ne se définit pas seulement par ce qui nous vient de nos parents et nos actions. Une part vient aussi de ce que les gens nous affligent comme réputation. On pourrait croire que savoir ce que nous sommes au fond de nous suffirait à nous laisser être qui on veut. Si vous croyez vraiment cela, dans ce cas vous êtes bien naïfs. Je parle d’expérience là, vous faire un essai philosophique sur l'inné/apprit ne m’intéresse en aucun cas. Non, ici je vous parle d’une conclusion à laquelle je suis arrivée par mes propres expériences personnelles.

Je suis un sorcier noir, cela, je ne vous le cacherais pas ici. Mon père était un humain tout ce qu’il y a de plus normal, mais ma mère ? Une sorcière noire tout ce qu’il y a de plus habituel. Elle avait cependant ce charme, cette aisance qui vous pousse vers elle…Pas étonnant que mon père soit tombé dans le panneau les deux pieds en avant. Je ne dis pas qu’il n’y a jamais eu d’amour entre eux, non. Je pense que ma mère aimait sincèrement mon père. Cependant…Elle avait  un but et elle l’a utilisé pour l’atteindre. Quant à savoir son but exact, allez savoir. Je n’ai jamais posé la question. Toujours est-il que cette union résulta en moi : Baptiste Diablotin, bébé voué à devenir un sorcier noir de par ma couleur de peau (et si ça ce n’est pas le paroxysme du raciste…mais passons).

Honnêtement ? Je ne changerais pour rien au monde. La magie, noire, blanche ou autres, ne s’apprend pas, elle s’apprivoise, car elle est déjà en vous ou non. On ne l’acquiert pas comme un métier, cependant on la façonne et la perfectionne par un apprentissage et un travail acharné. Mais la sensation de cette magie qui court dans vos veines ? Rien ne peut l’égaler et rien que pour ça je suis heureux d’être ce que je suis. J’ai été assidu dans l’apprentissage dispensé par ma mère, même si à mon grand désespoir je ne suis pas doué du tout pour les potions. Sans me vanter, je suis doué. Je ne suis peut-être pas le plus puissant (mon dieu, loin de là), mais je suis doué dans ce que je fais et j’en suis fier. En être fier ne m’empêche pas de cacher ma couleur de peau afin de la sauver. Car malgré tout, je reste ce qui est, aux yeux du plus grand nombre, une menace à ne pas négliger. Enfin, ma race. Alors j’en suis fier, mais je ne vais pas risquer de me faire tuer pour une histoire de fierté déplacée.

Cependant, mon histoire, celle qui me définit vraiment, commença plus tard, quand j’avais une quarantaine d’années. Je paraissais encore jeune, mais j’avais déjà fait mes armes en tant que sorcier noir, je n’étais plus un jeune homme naïf ; j’avais déjà maudits des gens qui m’avaient mis en colère, j’avais déjà servi des nobles sans que ces derniers ne s’en vantent, j’avais déjà goûté au pouvoir que je possédais et que j’usais sans remords. Ce qui ne m’empêcha pas, malheureusement, de tomber amoureux. Une humaine, à croire que les enfants sont voués à refaire les erreurs de leurs parents. Elle était jeune, bien plus jeune que je ne l’étais en réalité, plus proche de l’âge que j’affichais avoir. Une ballerine, belle comme le jour et gracieuse comme un cygne. Je lui fis la cour, gardant pour moi qui j’étais en réalité, quitte à le garder pour moi à vie si cela voulait dire une vie avec elle. Pourtant, le sort n’en voulut pas de cette histoire, car elle tomba sous le charme d’un autre, un soldat. Gravement blessé à une jambe durant une bataille, sa bravoure et son stoïcisme face à sa blessure qui risquait de lui faire perdre une jambe ne laissèrent pas la belle indifférente et bien vite, elle en tomba amoureuse, m’oubliant totalement. Sorcier un jour, sorcier toujours. Ajoutez à cela une jalousie qui me poussera dans la tombe un jour, j’ai maudit les deux amoureux. Lui, devint un petit soldat de plomb à une seule jambe et elle une ballerine de papier. Je pensais en avoir fini avec eux, ils ne pouvaient plus rien faire, ils étaient piégés. Pourtant, un jour, en allant les voir, je me rendis compte que ce n’était pas le cas. Bien évidemment, je n’allais pas entrer dans la maison de quelqu’un comme ça, alors je pris la forme d’un diablotin dans une boîte et m’avançai vers le soldat.

"Soldat de plomb, veux-tu bien mettre tes yeux dans ta poche ?"

Mais le saligaud faisait comme s’il ne m’entendait pas, toujours à observer la ballerine. Aux grands mots les grands remèdes comme on dit. Je jetai un sort de suggestion sur l’un des enfants de la famille, implantant dans son esprit que jeter le petit soldat de plomb par la fenêtre serait amusant. À ma plus grande joie, il le fit, et de là, je suivis les mésaventures du petit soldat de plomb. Je vis l’enfant se rendre compte de ce qu’il avait fait et aller chercher le petit soldat, mais je fis en sorte qu’ils ne le voient pas. Je ne voulais pas qu’il soit retrouvé tout de suite. J’attendis, patiemment, de voir ce qui allait lui arriver. Bien vite, deux gamins arrivèrent, et le placèrent dans un petit bateau de papier pour le mettre à l’eau. Oh, voilà qui pourrait être intéressant… Suivant le ruisseau sur la rive opposée à celle que les gamins suivaient, je vis le petit soldat être malmené et maltraité par le courant. Je ne vais pas mentir, cette vue me fit plaisir. Seulement, je perdis de vue le petit soldat et finit par me désintéresser de l’histoire. Après tout, la suite ne me regardait pas. Alors je repartis, quittant cette bourgade pour voyager un peu, histoire d’éviter de me faire accuser, à juste titre, de la disparition de la ballerine et du soldat.

Pendant des années j’ai voyagé aux quatre coins du Royaume, allant même jusqu’à Yasen en passant par Afshin et Saay, croquant mon parcours aux files de mes voyages. Ah, le dessin ; je n en’ai pas parlé jusque-là, mais depuis que je suis gamin, j’aime bien dessiner, ça me permet de me vider l’esprit. Je finis par revenir vers mon pays d’origine, qui me manquait (et aussi parce que si à Yasen ils ont l’habitude de voir des sorciers noirs, on n’est pas plus appréciés…). Après dix ans d’exil, je comptais bien me poser dans un coin et vivre ma petite vie de sorcier noir pépère. Mais non, il faut que je refasse la même erreur que j’ai faite la première fois : je suis tombé amoureux. Pour le coup, j’ai vraiment cru avoir de la chance, car la femme que je convoitais me rendait mon intérêt. Je ne préférais pas encore utiliser le mot sentiment à ce moment-là, parce que j’avais encore mal de la déception que j’avais pu vivre, dix ans plus tôt. Se dire que ce n’était qu’un intérêt me permettait de me distancer un peu. Pourtant, plus le temps passait, plus il s’avérait qu’on pouvait construire quelque chose ensemble. Elle ne savait pas ce que j’étais et ça m’allait bien. Je n’avais plus rien fait de néfaste depuis longtemps. J’usais de ma magie pour faire des choses bénignes, simplement parce que je ne pouvais pas renier ma magie totalement, elle faisait partie de moi. Honnêtement, elle aurait pu me changer.

Mais quand est-ce que la vie a vraiment été sympa avec moi ? Hormis pendant mon apprentissage ? Elle ne l’a pas été. Un soir, je rentrais d’un court voyage pour aller chercher quelques petites choses qui pourraient s’avérer utiles dans le futur, et quand j’arrivai près de la maison, une flèche me passa à quelques centimètres à peine du visage. Je me figeai, pour voir sortir de la maison que je partageai avec Emeline une femme, puis un homme et enfin, celle que j’aimais, en pleure.

"Qu’est-ce que vous lui avez fait ?! Qui êtes-vous ?!" je fis un pas vers eux bien décidé à leur faire comprendre ma façon de penser, mais une nouvelle flèche placée et préparée me stoppa.
"La première n’était qu’un avertissement, sorcier, la prochaine ne ratera pas sa cible. Quant à qui nous sommes, je suis Gretel Denougatine, et voici mon frère, Hansel. Chasseurs de sorcières." Je pâlis à vue d’œil en entendant ce nom. Ca faisait quelques années que ce nom flottait dans la communauté de sorcières noires comme un nom néfaste, des chasseurs. Je tournais le regard vers Emeline.
"Allons, tu ne vas pas les croire ? Depuis que l’on se connaît, m’as-tu une seule fois vu faire de la magie noire ?" et c’était vrai, les rares fois où j’ai utilisé ma magie, c’était lorsque Emeline n’était pas là. Je ne voulais pas risquer mes chances avec elle. C’est à cet instant qu’elle sortit une fiole de sa poche : une des fioles d’Hex Hoax que j’avais d’avance.
"Je sais ce que c’est, Baptiste, n’essaies pas de me mentir…Encore." Je m’avouai vaincu, pour ce qui était de la découverte de ma nature du moins.
"Et alors ? Est-ce que tu t’es senti en danger avec moi ? Est-ce que j’ai fait quoi que ce soit de néfaste envers toi ou qui que ce soit du village ?"
"Non, mais je sais ce que tu as fait par le passé ; tu as maudi deux jeunes gens par pure jalousie ! Comment tu veux que je me sente en sécurité auprès de toi quand je sais ça ?" j’avais envie d’hurler de rage. Comment ces chasseurs osaient-ils…Je me tournais de nouveau vers eux.
"Tout ça, c’est à cause de vous ! C’est parce que vous nous affublez d’une sale réputation à cause des actions de certains d’entre nous ! Mais j’aurais pu changer, auprès d’elle, je le sais…" et c’était vrai. Je ne pouvais pas changer ce que j’étais, je resterais toujours un sorcier noir, mais je savais que je pourrais trouver un moyen de ne plus être néfaste. La chasseuse m’observa puis plissa les yeux.
"Les gens comme toi ne changent pas." Et elle décocha sa flèche.

Je fis en sorte de disparaître dans un nuage de fumée (très dramatique je sais, mais plus rapide que n’importe quel autre moyen de fuite), mais fidèle à sa parole, la flèche m’atteignit tout de même, me faisant perdre un œil. Je passais les mois qui suivirent à essayer de soigner cet œil, mais rien à faire, il était bel et bien perdu. Alors je le couvris.

Je repris mes voyages, restant cette fois dans mon pays natal, bien décidé à rester. Mais un jour, je ferais payer à ces chasseurs de sorcières de m’avoir arraché au bonheur que j’avais pu trouver. Je savais bien que je n’aurais pas pu vivre toute une vie avec Émeline sans lui avouer la vérité, mais avec un peu de temps, j’aurais pu lui expliquer, tout. D'A à z. On m’avait cependant coupé l’herbe sous le pied, réduisant à néant mes chances. Saleté de chasseur. D’ailleurs, tout autres chasseurs de sorcières que je croisais, ils ne finissaient pas bien né général. Rarement mort, parce que je trouvais ça beaucoup plus drôle de les maudire dans une forme ridicule comme un canard ou un ver de terre.

Finalement, quand l’information que Marraine la fée se retrouva au pouvoir à Fort Fort Lointain, je crus mourir étouffé face à cette nouvelle inquiétante. Marraine était puissante et ambitieuse. Sans compter que je n’aimais pas les fées, de manière générale. J’aurais pu aller loin dans la direction opposée, éviter marraine à tout prix. Mais je préférai y aller, voir de mes propres yeux les dégâts. Et une fois sur place. Ah, la bonne blague. À peine au pouvoir, elle avait déjà une opposition face à elle. Pour être honnête, j’ai au départ hésité à rejoindre ces rebelles. Je venais d’arriver en ville et j’avais déjà du mal à trouver un emploi pour avoir de quoi manger… Il faut dire que mon statut de borgne n’aidait pas. Alors j’ai commencé à user de ma magie pour cacher cet œil en moins, et finalement, trouvai un emploi comme tatoueur à F.A Ink. Il faut dire que mes talents en dessin ont aidé.

Par la suite, je restais discret, observant de loin les agissements des rebelles. Pendant un temps, même si le nain était fou, au moins, ce n’était pas marraine. Donc je suis resté tranquille, mais là, Marraine qui revient ? Ah non ! Cette fois je n’ai pas hésité et je les ai rejoints. Quelle surprise de voir Gretel parmi eux… Elle aussi se souvient de moi. Je ne peux rien lui faire pour le moment ; tout le monde saurait que c’était de ma faute, notre animosité ayant nécessité des explications, il est vite apparu ma nature et notre haine mutuelle. Amusant. Mais au moins je n’ai pas à cacher mon œil, au contraire.

Ah, la vie risque d’être amusante ici…